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LA JEUNESSE DE LECONTE DE LISLE

Leconte, « qui a si bien mené sa barque, » de convertir son neveu aux pratiques de la vie régulière.

Charles, cependant, ne paraissait pas devoir s’y plier promptement. Une fois les premières lettres écrites, ce fut un oubli complet, du moins quant à la correspondance, de tous les devoirs d’un « bon fils. » Aucune nouvelle de Bretagne n’était arrivée à Bourbon, depuis les « quelques lignes » de Charles écrites au cap de Bonne-Espérance, au débarquement à Nantes, à l’arrivée à Dinan ; M. Louis Leconte, lui-même, sans doute absorbé par son apprentissage des charges de sa fonction, négligeait de renseigner son cousin sur la vie de l’enfant prodigue.

M. Leconte de l’Isle patienta jusqu’au mois de février 1838, mais, le 10 de ce mois, n’en pouvant plus, il prit la plume et, en même temps qu’il envoyait l’argent de la seconde année de pension de son fils, il suppliait son cousin de rompre le silence. Que se passe-t-il ? Charles aurait-il commis une faute grave ? Il l’en croit incapable ; du moins le lui eût-on écrit ! Qu’on le rassure, et il fait appel à la « complaisance » de M. Louis Leconte, et il le remercie « bien sincèrement, » car il sait que cette surveillance doit lui peser ; mais, puisque Charles n’écrit pas, qui leur donnera les nouvelles ? Ah ! ce silence de Charles ! « Aurait-il oublié notre amour pour lui ? » se demande M. Leconte de l’Isle et, à la pensée du fils que son silence fait doublement absent, il s’ingénie avec tendresse à tromper l’oubli et la distance. Il faut que Charles fasse faire sa miniature par le meilleur artiste de Rennes ; on paiera la somme nécessaire ; du moins, ce sera pour eux « un moyen de le revoir. »

Le 25 février, de plus en plus inquiet, il songe aux moyens pratiques d’arracher des nouvelles de France. Il envoie par Le Gol de Nantes « un petit ballotin de café ; il n’est pas gros, mais c’est de la crème. » Quel est le cousin, fût-il avoué, fût-il maire, qui pourrait résister à de si douces violences ?

Enfin, le 29 mars 1838, arrivait à Bourbon une lettre de France, datée du 23 octobre 1837, apportant des nouvelles de Charles. Mais quelles nouvelles ! Le maire de Dinan était épouvanté de son neveu, et son effroi et sa colère semblaient même s’atténuer de réticences, pour ne pas braver l’honnêteté dans les mots. Charles était accusé « d’affecter un mépris sauvage pour tout ce que l’on est convenu de respecter dans la société ; » son caractère est froid, inégal ; il est peu poli ; ses opinions politiques