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ce fut un véritable enfer. » Chacun donna libre cours à sa passion. On se détestait les uns et les autres, et on ne dissimula plus. L’horreur de cette situation apparut avec les conséquences qui en devaient résulter. L’évêque de Béziers, qui était envoyé à Paris pour plaider la cause de Richelieu, était loin d’être son ami. Il devait trouver, à Paris même, son compère, Tantucci qui, mis en goût par l’espérance d’obtenir de la cour une pension de 300 écus, nageait dans la trahison. A Blois, Richelieu absent était abandonné de tous. Même cette bonne Mme de Guercheville le blâmait. Ce fut bien pis quand on apprit qu’on avait été trompé, et qu’à Paris, il n’avait été nullement question, comme le marquis de Richelieu l’avait écrit, de donner à l’évêque l’ordre de se séparer de la Reine. Alors, pourquoi ce départ précipité ? Pourquoi n’avoir pas attendu des nouvelles plus précises ? Chacun commente, soupçonne et blâme.

La Reine écrit à Richelieu lettres sur lettres. Elle le rappelle ; elle lui reproche d’être parti à l’improviste ; de n’avoir pas dit la vérité, prétextant une absence de huit jours ; elle envoie à Tours, au-devant de lui, le carrosse de Mme de Guercheville. L’évêque n’est pas loin. Il est à Richelieu. Qu’il le veuille et il sera de retour à Blois en quelques heures, avant même qu’à Paris on connaisse l’incident. Mais il ne bouge pas. Il écrit à la Reine une lettre alambiquée, où il prend, par avance, le ton de l’excuse. Les heures s’écoulent ; les journées se passent. L’évêque ne bouge pas. Singulière attitude. Le 15 juin, Béziers, qui n’est pas encore parti, lui écrit, au nom de la Reine, cette lettre où les soupçons commencent à percer : « Vous verrez par les lettres que je vous envoie que la Reine a voulu ouvrir (ce sont évidemment des lettres de Paris), que l’avis de M. de Richelieu est réussi ce que je pensais et qu’il a pensé ruiner nos affaires lorsqu’ils étaient en très bon état. La Reine en est en une extrême colère contre lui et le sera de même contre vous, si vous ne partez immédiatement sa lettre vue. Je vous conseille en vrai ami et serviteur de venir incontinent. Vous n’avez pas sujet de craindre. Car la Reine a écrit à M. de Luynes d’une façon qu’il n’a garde de manquer d’empêcher tout ce qu’on pourrait profiter contre vous de votre absence. Monsieur votre frère a fait ce que tous vos ennemis conjurés n’ont pu effectuer et, pour vous dire franchement mon avis, votre hâte vous a pensé faire du mal. Mais la grande affection de la Reine a remédié à tout. Vous pouvez venir en toute assurance ;