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M. Crispi a voulu la guerre. La Triple Alliance ne pouvait pas, à ses yeux, avoir d’autre utilité pour l’Italie que de la faire participer, avec quelques chances de succès et de profit, à de grandes entreprises militaires. Si elle ne lui servait pas à cela, elle ne lui servait à rien ; elle était une déception et une duperie. Peut-être ne se trompait-il qu’à demi. En tout cas, il s’est conduit en homme logique, et il a fait ce qui dépendait de lui pour préparer les esprits à une guerre plus grave, en commençant par une guerre de tarifs. C’est à lui que revient la responsabilité d’avoir dénoncé, dès 1886, le traité de commerce qui existait entre nous depuis 1881.

Toutefois, il n’a pas présenté immédiatement cette dénonciation comme une rupture. Bien que la situation de l’Europe commençât dès lors à devenir inquiétante, elle ne l’était pas encore assez pour l’amener à prendre tout de suite un parti extrême : il voulait commencer par se libérer vis-à-vis de nous, puis attendre et voir venir. La dénonciation du traité n’avait, à l’en croire, aucune intention agressive, même en matière commerciale : elle signifiait seulement que, fait en 1881, ce traité avait besoin d’être modifié et remanié. L’Italie demanda en conséquence qu’il fût prorogé et restât en vigueur jusqu’au 1er mars 1888. Les négociations ont commencé aussitôt. Elles ont eu d’abord un caractère officieux. MM. Luzzatti et Ellena sont venus à Paris en quelque sorte pour tâter le terrain. Nous ne pouvons pas invoquer le témoignage du second, car il est mort depuis ; mais M. Luzzatti, dont les sentimens personnels, — c’est une justice à lui rendre, — ont toujours été favorables à une entente, n’avait évidemment pas reçu à cette époque des instructions aussi conciliantes que celles dont il était porteur ces derniers jours. Cependant, M. Crispi hésitait encore à rompre. A la négociation officieuse succéda une négociation officielle qui eut lieu à Rome. Pendant ce temps, la situation politique évoluait en France et en Allemagne de manière à entretenir au dehors les craintes de nos amis et les espérances des autres. Le boulangisme faisait chez nous des progrès alarmans : nous étions dans la période des conflits de frontière avec l’Allemagne. M. Crispi arrêta ses résolutions, et, à la fin de février 1888, il nous notifia l’échec définitif des négociations. Il fallut se résigner à la guerre des tarifs. Elle a commencé le 1er mars 1888, et aura duré par conséquent dix ans et neuf mois.

L’Italie en a souffert plus que nous, parce qu’elle n’était pas dans une situation générale aussi bonne que la nôtre, ni aussi propre à lui fournir facilement des compensations ; toutefois, nous en avons