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l’une et l’autre et l’une aidant l’autre, elles ont pu croire qu’elles allaient devenir une religion. Mais à quoi toutes ces ambitions et tous ces progrès ont-ils abouti ? Voici la réponse de M. Herbert Spencer à cette question : « Dans l’affirmation même que toute connaissance est relative est impliquée l’affirmation qu’il existe un non relatif… De la nécessité même de penser en relations, il résulte que le relatif lui-même est inconcevable s’il n’est pas en relation avec un non relatif réel… Il nous est impossible de nous défaire de la conscience d’une réalité cachée derrière les apparences, et de cette impossibilité résulte notre indestructible croyance à sa réalité. » Vous l’entendez ! il dit « croyance », aussi lui, comme Kant et Descartes ; et il aboutit comme eux à un acte de foi. La solution du positivisme ne diffère pas de celle du criticisme, qui ne différait pas de celle de l’idéalisme ; différens chemins nous ramènent tous au même point ; et, condition de l’action ou de la pratique, le besoin de croire nous apparaît comme condition de la pensée et de la certitude.

On peut aller plus loin, et on peut préciser le contenu de cet acte de foi. Ce qui est impliqué dans la définition même du relatif ou du contingent, c’est le nécessaire ou l’absolu, nous disent les Spencer, les Kant et les Descartes, et Spencer hésite à le nommer de son vrai nom, mais Descartes et Kant le lui donnent, et ils l’appellent Dieu. Leur acte de foi n’en est donc pas un dans le sens vulgaire ou familier du mot, comme d’un élève qui croirait à l’autorité de son maître ou d’un enfant à la parole de son père. Encore moins croient-ils par impuissance ou par désespoir de connaître. Leur dogmatisme n’est point le refuge de leur pyrrhonisme. C’est la certitude qu’ils cherchaient, avec la confiance de pouvoir y atteindre, et ils l’ont trouvée, non dans l’expérience ou dans la démonstration, mais dans la croyance. Il faut croire pour savoir, voilà le résultat de leurs investigations ; la science a pour fondement la croyance. Et que faut-il croire ? Il faut croire que, dans les affirmations de la science, — de la science rationnelle ou expérimentale, — s’enveloppe ou s’implique l’affirmation fondamentale du mystère de toutes les religions. Quand les anciens apologistes se proposaient d’établir la vérité du catholicisme, ils étageaient, pour ainsi dire, la succession de leurs preuves, et ayant démontré la vérité de la religion en général contre les incrédules, ils établissaient ensuite la vérité du christianisme contre le Juif, par exemple, ou contre le Turc, pour aboutir à l’établissement de la vérité du catholicisme contre le protestantisme. Les conclusions dernières du criticisme nous ramènent à la première de ces positions, qui est celle de la philosophie scolastique,