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montrer que le « besoin de croire » n’était pas moins inhérent à la nature et à la constitution de l’esprit humain que les catégories d’Aristote ou de Kant. Il y a des pensées qui ne peuvent naître, se former, et se développer que sous ou dans la catégorie de la croyance. Je vous ai fait voir ensuite, j’ai tâché de vous faire voir, que cette catégorie n’était pas la moins générale de toutes, puisque, comme disent les philosophes, elle « conditionnait » l’action, la science, et la morale. Et comme tout cela demeurait encore « subjectif, » ou pouvait encore en être argué, comme on pouvait nous dire que l’universalité du « besoin de croire » ou de « l’acte de foi » n’implique pas l’existence de leur objet, j’ai usé des moyens que m’offrait le positivisme pour franchir le passage du « subjectif » à l’ « objectif », et de l’objectif au seuil du transcendantal ou du surnaturel… Mais si je voulais aller plus loin, je sortirais de mon sujet et surtout de mon domaine ; je passerais du terrain de la psychologie et de l’apologétique sur le terrain de la théologie. Je ne m’en sens pas la force, et je ne crois pas en avoir le droit. Je ne crois pas avoir non plus le droit, dans un sujet d’une telle importance, je crois même avoir le devoir de ne pas m’avancer au-delà de ce que je pense actuellement. C’est une question de franchise et c’est une question de dignité personnelle. Quel que soit le pouvoir de l’intervention de la volonté dans ces choses, — et il est considérable, — aucun de nous n’est le seul maître du travail intérieur qui s’accomplit dans les âmes. Mais, si quelques-uns de ceux qui m’écoutent se rappellent peut-être en quels termes, ici même, il y a bientôt trois ans, je terminais une conférence sur la Renaissance de l’Idéalisme, ils reconnaîtront que les conclusions que je leur propose aujourd’hui sont plus précises, plus nettes, plus voisines surtout de l’idée qui vous a rassemblés en Congrès ; — et pourquoi, si c’est un grand pas de fait, n’en ferais-je pas un jour un autre, et un plus décisif ?

F. B.


Le Directeur-gérant,

F. BRUNETIERE.