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même endroit, que ni les hommes ni les anges ne peuvent imposer aucune loi qu’en tant qu’ils le veulent ; car nous sommes libres de toutes lois. » À cette affirmation si forte du docteur de Wittemberg, l’évêque, le prélat, le dignitaire de l’Eglise oppose l’affirmation pleine de hauteur et d’ironie de la thèse contraire. Il ne discute plus ; car il sait que, sur ce point, l’antagonisme est irréductible : « Donc, il paraît que vous enseignez disertement que les lois humaines n’obligent en aucune façon les consciences. Telle est votre doctrine ! Elle est détestée de l’Eglise catholique et le doit être universellement de tout le monde, attendu qu’elle ouvre une grande porte à la désobéissance, en ce qu’on ne saurait mieux apprendre à mépriser l’autorité de l’Église, des rois et des magistrats et à violer leurs lois et ordonnances, qu’en persuadant à un chacun qu’il ne peut y en avoir aucune qui oblige les consciences. »

Pour dire toute ma pensée, je crois qu’ici le théologien entraîne le politique et le trompe. Il serait facile au protestantisme de répondre que, si la Réforme a porté atteinte à l’unité catholique et à la domination romaine universelle, elle n’a nullement affaibli le ressort de la puissance politique, ni enseigné le mépris des lois. On réunirait facilement nombre de passages empruntés aux œuvres de Luther et de Calvin affirmant l’autorité du pouvoir et resserrant les nœuds de la société civile. De grandes nations se sont constituées et vivent dans un ordre parfait, en se conformant aux principes des docteurs de la Réforme. Ceux-ci se sont certainement arrêtés sur la pente de l’anarchisme qui était l’aboutissant de leur système. Et précisément, là où ils se sont fixés, là où ils font tête, c’est quand il s’est agi de la notion de l’Etat. C’est sur la notion de l’Etat qu’ils se sont appuyés pour résister à la domination universelle, spirituelle et temporelle, telle que l’avait conçue la papauté du moyen âge.

De sorte que, si l’on va au fond des choses, on constate que — par une singulière contradiction inaperçue, d’ailleurs, de lui-même, — Richelieu est en communauté de vues avec ses adversaires, au moment même où il les combat. Sa préface corrige son livre ou, plutôt, elle le complète. Puisque les faits ont détruit l’harmonie ancienne, encore faut-il vivre, encore faut-il chercher quelque part le point d’appui qui manque désormais. Et ce point d’appui, il le trouve, à son tour, dans la notion de l’État. Or, c’est justement là que les docteurs protestans se sont arrêtés