eux-mêmes, et que d’ailleurs ils prennent souvent dans les acceptions les plus éloignées de leur étymologie.
Cette fois, la question de la grève générale a opéré une sélection en forçant chacun à prendre position et à arborer ses véritables couleurs.
La grève a passé par trois phases successives. Au début le conflit s’était élevé sur le terrain professionnel au sujet d’une demande d’augmentation des salaires. Les patrons eux-mêmes, ce qui est assez rare, reconnaissaient en principe le bien-fondé de cette réclamation ; et la question se posait moins entre les entrepreneurs et leurs ouvriers qu’entre les entrepreneurs et le Conseil municipal. Il s’agissait moins de savoir si on paierait que de savoir qui paierait.
L’intervention du Conseil municipal a placé le débat sur le terrain administratif et politique et a failli le faire dégénérer de la manière la plus dangereuse ; grâce au préfet de la Seine et à l’attitude des entrepreneurs, la crise s’est dénouée par une transaction onéreuse seulement pour les finances de la Ville.
Mais au moment même où patrons et ouvriers se réconciliaient aux dépens des contribuables, la grève parut entrer tout à coup dans une nouvelle phase et tourner à la grève générale. Pendant plusieurs jours, les murs de Paris furent couverts d’appels à la guerre sociale, et on craignit l’arrêt de tous les services publics. Il faut le reconnaître, la grève générale, ce rêve de tous les révolutionnaires, a échoué moins par le fait du gouvernement que par la sagesse des grandes associations ouvrières qui ont eu le courage et l’autorité nécessaires pour opposer leur veto aux excitations des meneurs socialistes et pour les vaincre sur leur propre terrain à la Bourse du travail.
La lutte entre les syndicats organisés dans un intérêt professionnel et les fédérations socialistes, entre la tradition et la révolution, est, à notre avis, le trait caractéristique de cette grève. Déjà dans l’histoire des Trade-Unions anglaises on avait pu voir, à deux reprises, les ouvriers, groupés corporativement, faire preuve d’une initiative et d’une énergie bien rares pour résister aux élémens socialistes qui avaient, dans une certaine mesure, collaboré à la formation de leurs associations, et la vertu inhérente à la forme corporative éliminer rapidement tous les fermens étrangers. Mais les syndicats français, constitués depuis la loi de 1884, n’ont pas eu encore le temps d’acquérir la cohésion