Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 150.djvu/824

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ont abandonnés, poussés par un sentiment de solidarité sincère mais certainement exagéré. »

Quant au Syndicat Guérard, il fait le 15 octobre une tentative de conciliation, en écrivant au juge de paix du Xe arrondissement pour le sommer de soumettre le programme des revendications des ouvriers de chemins de fer aux directeurs des compagnies, et enfin, le 17 octobre, dans une dernière réunion à la salle Chaynes, devant une centaine d’auditeurs dont moitié sont des étrangers à la corporation, il lit d’une voix émue un ordre du jour constatant l’insuccès de la grève. Le lendemain il donnait sa démission, ainsi que tous ses collègues du conseil d’administration. La grève générale avait abouti à un échec indéniable.


CONCLUSION. — CE QUI RESSORT DE CETTE GRÈVE

Le dénouement imprévu de la bruyante campagne en faveur de la grève générale, préparée depuis si longtemps dans les réunions publiques, les congrès socialistes, et les bourses du travail, est un événement d’une portée considérable, dont il importe de rechercher les causes profondes. Le simple récit que nous venons de faire prouve à quels mécomptes sont exposés ceux qui croient pouvoir étudier le mouvement corporatif dans les journaux socialistes ou dans les livres de certains économistes. L’agitation toute de surface qui se produit autour des bourses du travail ne doit pas faire méconnaître le grand courant qui porte partout les travailleurs à constituer des groupemens professionnels et à demander l’amélioration de leur condition à cette organisation corporative, qui pendant tant de siècles avait assuré à leurs ancêtres la liberté et la dignité du travail.

Bien que les groupes professionnels ne soient pas encore reformés en France, comme ils l’ont été en Angleterre, en Allemagne et en Autriche, ils représentent déjà une force sociale assez grande pour s’opposer aux envahissemens du socialisme cosmopolite ; dans cette dernière grève, il a suffi de leur intervention pour tenir en échec tous les organismes révolutionnaires. C’est une constatation rassurante, mais cela prouve la nécessité de régler et de discipliner cette force.

L’attitude des ouvriers dans cette grève révèle chez eux un état d’esprit dont il convient de tenir compte. Exclusivement occupés de leurs revendications professionnelles, ils se sont laissé