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je ne veux pas dire d'instruire, ni d'agir, mais pourtant d'obliger les spectateurs à quelque réflexion, cette comédie, qui est celle de Molière, et dont le caractère confine souvent à celui du drame, ne saurait être une école de beaux sentimens. Est-ce peut-être pour cela que Molière, qui a su faire admirablement parler Dorine ou Madame Jourdain, — sans rien dire de Bélise ou de Philaminte, qui sont des ridicules, — n'a su au contraire faire parler ni ses amoureux ni ses jeunes filles ? On souffre d'entendre l'Angélique du Malade imaginaire s'exprimer en ces termes : « Est-il rien de plus fâcheux que la contrainte où on me tient, qui bouche tout commerce aux doux empressemens que notre mutuelle ardeur nous inspire ? » Cette enfant-là parle comme son père, et ce serait bien fait qu'elle épousât Thomas Diafoirus ! On n'aime pas beaucoup non plus entendre Henriette dire à sa sœur, dans les Femmes savantes :

De grâce, souffrez-moi, par un peu de bonté,
Des bassesses à qui vous devez la clarté ;
Et ne supprimez point, voulant qu'on vous seconde.
Quelque petit savant qui veut venir au monde.
Femmes savantes, I, 1.)

Une jeune fille fait-elle de ces plaisanteries ? N'est-elle pas trop raisonnable aussi, d'une raison qui n'est pas de son âge, quand elle dit à Clitandre, qu'elle aime :

Rien n'use tant l'ardeur de ce nœud qui nous lie
Que les fâcheux besoins des choses de la vie.
Et l'on en vient souvent à s'accuser tous deux
De tous les noirs chagrins qui suivent de tels feux.
Femmes savantes, V, 5.)

Et voilà ce que c'est que d'avoir entendu répéter trop souvent :

Qu'on vit de bonne soupe…

Mais ce qui excuse ici Molière, c'est qu'après tout la délicatesse des sentimens, ou la grâce, n'ont guère de place dans la comédie, et encore bien moins l'élévation, la tendresse, la générosité, l'héroïsme ou le sacrifice. La comédie, telle que l'a conçue Molière, est généralement, nécessairement dure à ses personnages, qui sont l'incarnation de nos ridicules ou de nos vices, et elle ne l'est au nom d'aucun principe supérieur de morale, mais des exigences de la vie commune. Ce qui condamne Arnolphe, c'est qu'il