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composition ; mais, comme prix, il n’était à la portée que des classes opulentes : 8 et 10 francs le litre aux XIVe et XVe siècles, — en tenant compte du pouvoir de l’argent. — Plus tard il baissera de moitié, mais demeurera fort à la mode ; on servait cette boisson à la fin de tous les grands repas. Louis XIV l’affectionnait beaucoup, et la ville de Paris lui en offrait chaque année un certain nombre de bouteilles. Déjà apparaissaient le populo, le rossolis, importés d’Italie et composés, suivant la méthode moderne, d’eau-de-vie, de sucre et d’essences déplantes.

Enfin, sous Louis XV, commença la vogue de toute cette catégorie de liqueurs suaves, doucereuses, pommadeuses un peu et tendres comme leur nom, crème des Barbades, baume des Îles, huile de Vénus ou Parfait amour, que les seigneurs tout à l’ambre de l’ancien régime léguèrent aux guerriers du premier Empire et que, peu à peu, les bourgeois de Louis-Philippe et leurs altesses électorales les citoyens souverains d’aujourd’hui remplacèrent par les amers, les bitters, le genièvre et l’absinthe. Qui songerait désormais à acheter ou à vendre le vespetro, l’huile de roses, le cent sept ans ou la crème de céleri dont Cagliostro avait inventé la recette ? Qui connaît même de nom le Délice de Rachel, l’eau virginale ou de la Pucelle, la crème de rubans secs, voire l’esprit de Chateaubriand ? On sourit en lisant, pieusement conservée pour l’histoire, dans les archives du distillateur érudit, la formule d’un élixir de Raspail qui, en son temps, faisait fureur : « liqueur hygiénique et de dessert » où l’aloès et le camphre jouaient un rôle décisif, — le camphre, vers 1850, fut une panacée universelle. — Et que penser des célèbres « liqueurs de la veuve Amphoux, » parmi lesquelles figurait le baume humain, confectionné avec de la myrrhe, du benjoin en larmes, de l’eau de roses et un baume du Pérou ?

Il est vrai que, dans un demi-siècle peut-être, les décoctions qui passionnent nos contemporains inspireront à nos fils une pitié tout aussi méprisante et que, présentement, chaque pays sur le globe affectionne des mélanges que sans doute ses voisins priseraient peu : tel l’advocatenborrel à l’œuf en Hollande, le punch à l’arac en Norvège ou la myrtille en Russie. L’Égypte est aussi fière de son mastic que le Brésil de son abacaxi, au parfum d’ananas, ou le Sénégal de sa liqueur de romarin.

Comment s’étonner au reste de ce dont le palais de nos pères a été flatté, lorsqu’on pénètre dans une de ces immenses usines où les