étapes, nous nous refusons à aller jusqu’au bout du socialisme d’État ; mais nous disons que la position où s’est si longtemps cantonnée l’économie politique orthodoxe est à présent intenable ; que l’État doit, en effet, « s’occuper du sort des travailleurs ; » ou tout au moins qu’il ne peut pas ne pas s’en occuper, parce que, durant le dernier demi-siècle, le travail, d’une part, et, d’autre part, l’État lui-même se sont complètement transformés.
Le travail, d’abord, s’est transformé. On a vu, par les applications de la vapeur et de l’électricité, s’opérer une concentration de la force, et par elle une concentration de l’industrie : l’ère de la grande manufacture s’est ouverte, l’usine a remplacé l’atelier. L’homme, l’ouvrier, est devenu, au lieu d’un producteur, un conducteur de force. Sa peine, en somme, a été diminuée, mais ses risques se sont plutôt accrus. Risques de tous genres : dans l’usine et hors de l’usine, pendant le travail et après le travail, car les conditions de la vie ont changé, et la concentration du travail dans l’usine a amené la concentration des travailleurs autour de l’usine. Le travail a perdu ainsi son caractère individuel ou particulier, pour prendre un caractère en quelque sorte ou dans quelque mesure collectif, et, en conséquence, plusieurs questions se sont naturellement et légitimement posées. Dans l’usine, ne fallait-il pas s’assurer que l’ouvrier était, autant qu’il le peut être, prémuni contre les accidens ; que les prescriptions de l’hygiène et de la morale étaient suffisamment observées ; que la femme et l’enfant n’étaient pas exploités ultra vires ? Autour de l’usine, ne devait-on pas se préoccuper de la salubrité du logement de l’ouvrier ; des chômages forcés et inévitables, des maladies ; ne fallait-il pas penser et le faire penser, tandis qu’il travaille, aux jours rapidement venus où il serait incapable de travailler ? Ces diverses questions, et d’autres, qui se posaient légitimement, ne pouvaient manquer d’être tôt ou tard posées légalement, l’État, lui aussi, et la loi elle-même, s’étant transformés, dans le même temps que se transformait le travail.
Une révolution politique a coïncidé avec la révolution économique ; et comme 1789 avait été une révolution bourgeoise, 1848 est un mouvement ouvrier ; mouvement profond qui bouleverse tout l’État en faisant, par l’introduction du suffrage universel, du prolétariat plus ou moins misérable qu’avait créé ou développé l’introduction de la machine dans l’industrie, un prolétariat à la