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Qu’on ne se méprenne point sur mes intentions : ce n’est pas cette tâche que j’entreprends ici ; je ne veux qu’effleurer cet attrayant sujet et donner au lecteur une idée très sommaire de ce qui pourrait être tenté en ce sens : heureux si ces modestes essais pouvaient suggérer à un savant vraiment autorisé l’idée de faire plus et mieux. Il va sans dire que les spécialistes ne trouveront dans ces pages, que je n’écris point à leur intention, aucun fait qui ne leur soit connu. Quant aux idées qui pourront être développées à l’occasion de ces faits, le lecteur ne devra point s’étonner s’il en rencontre quelques-unes qui ne lui sont pas nouvelles : de tous les partis pris, celui de l’originalité est le plus contraire à l’esprit scientifique. S’il m’arrive parfois de repasser sur les traces de Raynouard et de Fauriel, cela prouvera tout simplement que les recherches minutieuses de l’érudition ont confirmé les généralisations de la première heure : c’est là un honneur dont ces grands initiateurs eussent été fiers et dont leurs successeurs ne doivent pas essayer de les frustrer.


I

La première question qui se présente est naturellement celle des origines. Quelles sont les causes qui contribuèrent à cette merveilleuse et soudaine éclosion ? Milà y Fontanals a résumé avec une élégante précision celles que la critique a le plus communément alléguées : parmi les plus puissantes, dit-il, il faut compter « la douceur du climat et la beauté du pays, les restes plus étendus de culture romaine ; la paix moins souvent troublée et la prospérité plus grande que partout ailleurs ; le développement du régime municipal et l’activité du commerce, source de richesses qui assurèrent à toutes les classes un bien-être relatif ; enfin, et tout spécialement, la formation rapide d’une langue riche et sonore[1]. » Ces diverses causes sans doute ont pu influer dans une certaine mesure, mais toutes n’ont pas eu l’efficacité que leur attribue le critique espagnol. Ecartons d’abord les causes permanentes, telles que la douceur du climat ; le climat était identique depuis des siècles et n’a point changé jusqu’à nos jours : or, le phénomène dont nous recherchons les causes a été un accident éphémère. La culture romaine s’était surtout conservée dans

  1. De los Trovadores en España, p. 29.