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verts par la lame qui déferlait par-dessus leurs têtes. Si l’un d’eux était entraîné par la violence du courant, sa ceinture le soutenait et une embarcation allait le reprendre pour le ramener au travail. » À la fin de la campagne, on avait pu accoster sept fois, faire en tout huit heures de travail ; quinze trous étaient percés sur les points les plus élevés. L’année suivante, on accosta seize fois et on travailla dix-huit heures ; des crampons furent fixés au roc. Grand pas vers le succès ! « La construction proprement dite est de 1869, raconte l’ingénieur que nous venons de citer. Il fallait une prise des plus rapides, car on travaillait au milieu des lames arrachant parfois de la main de l’ouvrier la pierre qu’il se disposait à mettre en place. Un marin expérimenté, adossé contre un des pitons du rocher, était au guet, et l’on se hâtait de maçonner quand il annonçait une accalmie, de se cramponner quand il prédisait l’arrivée d’une grosse lame. Les ouvriers, l’ingénieur, le conducteur, qui encourageaient toujours les travailleurs par leur présence, étaient munis de ceintures fournies par la Société de sauvetage et d’espadrilles destinées à prévenir les glissemens. » À la fin de cette troisième campagne, on avait exécuté 25 mètres cubes de maçonnerie, que l’on retrouva intacts l’année suivante. En 1870, on accoste huit fois, on passe sur la roche 18 heures 5 minutes ; en 1871, on accoste douze fois et l’on travaille 22 heures ; en 1872, 114mc,50 étaient en place et la dépense montait déjà à 135 336 francs. Le phare d’Armen put enfin être inauguré en 1881. Son feu porte à vingt milles, et c’est le dernier qu’on aperçoive en quittant l’Europe. Il a coûté au total 942 200 francs, soit 1 025 francs par mètre cube de maçonnerie et, si ce prix est inférieur encore à celui de certains phares anglais de grand atterrage[1], on peut noter qu’il est presque supérieur de moitié à celui du phare des Berges d’Olonne, le second de nos phares comme chiffre de revient et où le mètre cube de maçonnerie n’a pourtant coûté que 552 francs.

Où il y a roc, il y a prise. Mais le danger peut venir d’ailleurs, surtout dans les rades foraines, mamelonnées de bancs de sable et de tangue, et à l’entrée de certains ports dont les chenaux se déplacent brusquement aux équinoxes. Cette instabilité n’est point pour aider aux constructions sur assises. Nous n’avons point en

  1. Bell-Rock a coûté 1 390 000 francs ; le mètre cube 1 721 francs ; Cherry-Vore 1 805 000 francs ; le mètre cube 1 088 francs. Mais il faut tenir compte de la cherté des matériaux et de la différence des salaires ouvriers.