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graduel du gneiss sur lequel il repose : on a dû le remplacer. Le phare de Fletwood, bâti sur pilotis, fut détruit, en ce siècle même, par le choc formidable d’un navire. Plus récemment, en 1877, le phare Krishna, situé en deçà des bouches du Gange, a brusquement disparu. Comment ? Pourquoi ? Personne n’a pu le dire. La catastrophe n’eut pas un seul témoin ; mais on s’aperçut un jour que le phare n’existait plus. Et, ces risques de disparition totale écartés, quand on ne tiendrait compte que des dangers partiels auxquels sont exposés les gardiens de phares, l’horreur le disputerait encore à la pitié. Le 2 novembre 1876, par beau temps, à 4 mètres au-dessus des hautes eaux, le gardien Vimel, occupé sur la plate-forme extérieure du Four à fixer la corde de débarquement, est enlevé par une lame de fond sous les yeux de ses camarades. Quelques mois auparavant, dans ce même phare, la lanterne avait été crevée par un coup de mer si violent que les éclats de verre tailladèrent les armatures de cuivre de l’appareil : sous les masses d’eau qui les recouvraient, dans l’effort du vent, au péril de leur vie, les gardiens travaillèrent six heures à remonter le vitrage. Au phare de la Vieille, dans la tempête de décembre 1896, une lame défonça deux panneaux de la lanterne, pénétra dans la tour, inonda l’escalier, les chambres, la soute aux vivres, jeta à l’intérieur 17 mètres cubes d’eau. Les gardiens pensèrent faire naufrage dans leurs lits. L’accostage même, dans certains Isolés de pleine mer, peut passer pour un exercice redoutable. Pas de cales : seulement un escalier taillé dans une roche accore ; quelquefois de simples crampons de fer scellés dans le soubassement. Le canot, d’une lame à l’autre, subit des différences de niveau qui le portent brusquement à 4 mètres en contre-bas de sa hauteur première : il faut saisir la seconde précise où la lame le prend sur sa crête pour sauter du bord, se cramponner à l’échelle ; à la moindre hésitation, on est perdu. Aux approches d’Armen, et pour résister au courant qui est formidable à cet endroit, le baliseur « met sa machine sur ses chaînes, » c’est-à-dire qu’il fait machine en avant pour se maintenir sur place. Nul moyen de détacher un canot : le courant l’emporterait. Les gardiens lancent un cartahut de la tour ; ce cartahut est attaché au mât de misaine du baliseur et sert lui-même à l’installation d’un va-et-vient. Les novices empruntent la planchette du va-et-vient ; les vieux routiers se hissent à la force du poignet. Aux uns et aux autres, cependant, on passe une ceinture de sau-