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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 151.djvu/645

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UN OFFICIER DES GUERRES DE L’EMPIRE

condamné à rester en arrière. Tandis que son régiment était dirigé sur Francfort-sur-l’Oder, lui-même recevait l’ordre de rejoindre à Potsdam le général Bourcier, qui y commandait le grand dépôt de la cavalerie.

On sait, en effet, que Napoléon avait fait venir à pied en Prusse tout ce qu’il y avait dans les dépôts de bons cavaliers, et leur avait fait donner pour montures les chevaux pris à l’ennemi. C’est à cette intention qu’il avait créé à Potsdam ce grand dépôt, où l’on avait amené non seulement les chevaux pris à l’ennemi, mais encore beaucoup d’autres, achetés dans les diverses provinces de la Prusse. Les cavaliers venus à pied y étaient aussitôt montés ; ceux qui venaient à cheval étaient successivement passés en revue et leurs chevaux remplacés pour peu qu’ils parussent fatigués.

Aussi Reiset ne manqua-t-il point d’occupation durant son séjour à Potsdam, séjour qui se prolongea deux années entières. Pendant cet espace de temps, plus de quatre-vingt mille chevaux lui passèrent par les mains.

Il n’en écrivait pas moins très régulièrement à sa fiancée, et ses lettres abondent en détails curieux. « Je suis toujours au même poste, écrivait-il le 23 février 1807 ; et je me sens plus fatigué que jamais. Le général Bourcier a ajouté à ma besogne ordinaire celle de recevoir ici tous les renforts : au fur et à mesure que les chevaux arrivent, il me faut les examiner, les recevoir, et les distribuer… Àmusez-vous, profitez des plaisirs qui peuvent se présenter, et ne comptez pas trop sur notre prochain retour : je crois, hélas ! que nous ne sortirons jamais de l’Allemagne ! » — « Hier, écrit-il deux mois après, je m’étais rendu pour quelques heures à Berlin, quand un courrier du général vint me prévenir qu’il viendrait le lendemain, et de l’attendre. J’en profitai pour aller au spectacle. On y donnait une tragédie de Schiller, que je n’aurais certainement pas eu le courage d’entendre jusqu’à la fin, si j’avais été seul. Presque tous les personnages se tuent, s’assassinent réciproquement et s’empoisonnent. C’est un carnage affreux. On porte les morts sur la scène, on les enterre ! et le tout finit presque faute d’acteurs, car ils sont à peu près tous ou morts ou pâmés. »

C’est sans doute le drame des Brigands, que Reiset appréciait ainsi, peu accoutumé encore, on le voit, aux sublimes horreurs du romantisme. La beauté féminine, en revanche, l’intéressait toujours, tout fiancé qu’il était, et parmi les jeunes Bavaroises, bour-