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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 151.djvu/771

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Lord Cowley se fit aux Tuileries l’interprète des pressans avertissemens de sa souveraine. « On prétend, répondit l’Empereur, que ma politique est tortueuse, mais on ne me comprend pas. On me reproche de coqueter aujourd’hui avec l’Angleterre, demain avec la Russie. Ma politique est on ne peut plus simple. À mon arrivée au pouvoir, j’ai vu que la France désirait la paix ; j’ai résolu de la maintenir et de respecter les traités de 1815, tant qu’on les respecterait et que la France garderait sa place dans les conseils de l’Europe. Mais j’étais également résolu, si j’étais poussé à la guerre, à ne faire la paix qu’après avoir assuré à l’Europe un meilleur équilibre. Je n’ai point d’idées ambitieuses, comme le premier Empereur, mais, si d’autres pays reçoivent des avantages, il faut bien que la France en obtienne aussi. Eh bien ! lorsque j’ai été forcé de faire la guerre à la Russie, je croyais qu’aucune paix ne serait satisfaisante, si elle ne rétablissait pas la Pologne. J’ai tendu la main à l’Autriche, dans l’espoir qu’elle m’aiderait dans cette grande œuvre. Elle m’a fait défaut, et, une fois la paix conclue, j’ai tourné mes regards vers l’amélioration de l’Italie et me suis en conséquence rapproché davantage de la Russie. Voilà tout le secret de ma politique. »

Aux approches du jour de l’an, l’Empereur et la Reine échangèrent comme d’habitude de cordiales félicitations ; leurs lettres se croisèrent. L’Empereur ne faisait aucune allusion à la politique, ni au maintien de la paix ; il annonçait le mariage de son cousin avec la princesse Clotilde comme un heureux événement de famille, particulièrement réjouissant pour l’Impératrice. La Reine, au contraire, préoccupée, des projets qu’on prêtait à son allié, lui adressait une prière instante de ne pas troubler la paix. « Puisse l’année 1859, dit-elle, assurer la tranquillité et la paix du monde ; puissent nos deux gouvernemens, en s’entendant sur toutes choses, contribuer au bonheur et à la prospérité de l’Europe ! »

Ce sage et mélancolique appel à la concorde ne fut pas écouté. Le lendemain même, à la réception du corps diplomatique, Napoléon III répondit aux félicitations du baron de Hübner par une mémorable apostrophe.


IX. — LES NÉGOCIATIONS AVEC LA RUSSIE

L’Empereur n’avait pas l’habitude d’initier son cabinet à ses desseins ; aussi, à son retour à Saint-Cloud, avait-il négligé de