de l’Angleterre, si la Cour impériale s’était transportée sur les bords du Yang-tze. Or il semble que les projets, — ou les rêves, — des Russes se soient singulièrement agrandis depuis que la faiblesse de la Chine a été irréfutablement démontrée. Ils ne cherchent plus seulement un port libre sur le Pacifique, ils paraissent poursuivre, sans l’avouer, le dessein plus ambitieux de dominer tout l’Empire du Milieu, au moins ses vastes dépendances du Turkestan, de Mongolie, de Mandchourie, et toute la Chine du Nord. Puis, — il y a toujours du rêve dans le tempérament moscovite, — qui sait si l’on n’entrevoit pas sur les bords de la Neva, l’héritier de Pierre le Grand montant un jour sur le trône du Fils du Ciel et commandant à ces multitudes, habituées au joug d’un maître étranger, qui se soumettraient aux ordres du Tsar, comme elles se sont soumises à ceux de Gengis-Khan, comme elles rendent hommage aujourd’hui à un Mandchou dégénéré, comme elles auraient obéi au Mikado, si la crainte de l’Europe n’avait arrêté les entreprises du Japon ?
Poussé à la guerre par les insolences depuis longtemps répétées de la Chine, par le désir de soutenir ses intérêts commerciaux considérables et ses prétentions politiques vingt fois séculaires en Corée, l’Empire du Soleil-Levant avait vu s’exalter ses espérances dans la mesure de ses succès, dont il était sans doute assuré d’avance, mais qu’il ne prévoyait pas si écrasans ; lui aussi, il rêva un moment de s’annexer la Chine. Si cette guerre s’était produite cinquante ou même vingt ans plus tôt, alors que l’Europe se préoccupait moins des choses extérieures, il est probable que la dynastie mandchoue eût été remplacée par une dynastie japonaise. Alors peut-être le péril jaune, le péril jaune militaire, qui n’est aujourd’hui qu’une folle imagination, fût-il devenu une réalité. Organisateurs et guerriers, les Japonais auraient pu un jour lancer sur l’Occident les innombrables hordes chinoises, disciplinées par eux. Mais, en 1895, s’ils se laissèrent un instant aller à l’espoir de placer leur empereur sur le trône de Pékin, ils ne s’arrêtèrent pas longtemps à ce rêve, que la jalouse surveillance de l’Europe rendait irréalisable. Ils se bornèrent à exiger, outre l’île de Formose, les Pescadores et une indemnité de guerre, la cession de cette presqu’île du Liao-toung, avec Port-Arthur et Talien-wan, que convoitait déjà la Russie. Ils comptaient en retirer les mêmes avantages qu’elle ; peut-être espéraient-ils, en possession de cette position d’attente, pouvoir