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dût se passer aucun événement grave en Extrême-Orient avant que l’achèvement du Transsibérien déterminât un pas en avant des Russes, lorsque tout à coup, au mois de novembre 1897, le monde apprit avec surprise que l’Allemagne venait de débarquer un détachement de marins sur les côtes de la baie de Kiao-tchéou, dans la presqu’île du Chan-toung : le motif avoué de cet acte était de prendre un gage pour presser la marche de négociations qui étaient engagées dès longtemps à Pékin, à la suite de l’assassinat de deux missionnaires, et qui traînaient en longueur, comme d’usage. Tout d’abord on n’attacha peut-être pas à ce coup de force toute l’importance qu’il méritait. On voulut même, un instant, n’y voir qu’un ingénieux artifice de l’empereur allemand pour démontrer l’utilité d’une marine et obtenir du Reichstag le vote des crédits destinés à l’augmentation de la flotte. Mais, lorsque Guillaume II envoya en Extrême-Orient son propre frère à la tête d’une escadre, en l’invitant, lors du départ, à y faire sentir au besoin sa « dextre gantée de fer, » on dut bien se convaincre que l’occupation de Kiao-tchéou était définitive et que l’Allemagne se payait enfin, plus tardivement, mais avec moins de ménagemens que ses alliés, des services qu’elle avait rendus à la Chine en 1895. Elle n’avait mis sans doute si longtemps à agir que parce qu’elle hésitait entre divers points pour le choix de la station navale qu’elle désirait établir en Extrême-Orient.

Si le débarquement de Kiao-tchéou était un acte mûrement réfléchi, il ne semble point, en revanche, que le cabinet de Berlin se fût préoccupé de s’assurer auparavant l’assentiment des autres puissances. On s’est demandé si la Russie elle-même, qui avait eu des visées sur cette baie, où son escadre d’Extrême-Orient avait hiverné en 1896-97, avait été prise au dépourvu. Il semble aujourd’hui qu’elle ait été prévenue, nous ne disons pas consultée, peu de temps à l’avance. Quant à l’Angleterre, elle fut mise en présence du fait accompli, et l’opinion britannique en conçut d’abord une violente colère. Quoique l’Allemagne eût paru se détacher peu à peu du groupement franco-russe pour se rapprocher de la Grande-Bretagne ; quoique les banques anglaises et allemandes se fussent chargées de concert du placement en Europe d’un second emprunt chinois de 400 millions de francs, en 1897 ; quoique les capitaux des deux pays se soient assez souvent associés en Chine, la cordialité est tout à fait étrangère aux relations entre les sujets de la Reine et ceux de son petit-fils en Extrême-Orient. Dès