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sibles et doses progressivement ménagées. C’était en douceur. Toujours est-il qu’il se racontait sans se ménager : « Je croyais en 1830 et, je le crois encore aujourd’hui… J’ai cru et je le crois encore… Voilà ce que je croyais en 1830 et, permettez-moi de le dire, ce qui s’est passé depuis n’a pas contribué à me faire changer d’opinion… Mais je me suis promis à toutes les époques de ma vie, et j’espère que je tiendrai parole, de ne jamais humilier ma raison devant aucun pouvoir, quel qu’il fût, et de marcher toujours le front haut, comme doit faire un homme qui a toujours eu le courage de… »

Ceci en 1842. En 1864, dans l’admirable discours sur les « libertés nécessaires, » c’est, bien entendu, le même ton et avec quelque chose d’un attendrissement où décidément le lyrisme se fait sentir. Un poète lyrique, du moins au xixe siècle, est en son fond un monsieur qui vous parle de lui ; et, mon Dieu, Thiers en parle bien :


Quant à moi (permettez-moi de déchirer encore un dernier voile), j’ai servi une auguste famille aujourd’hui dans le malheur. Je lui dois le respect qu’on ne saurait refuser à de grandes infortunes noblement supportées ; je lui dois l’affection qu’on ne peut pas manquer de ressentir pour ceux avec qui l’on a passé la meilleure partie de sa vie. Il y a quelque chose que je ne lui dois pas et qu’elle ne me demande pas, mais que la fierté de mon âme lui donne volontiers, c’est de vivre dans la retraite et de ne pas lui montrer ses anciens serviteurs recherchant l’éclat du pouvoir quand elle est dans la tristesse et dans l’exil. Mais il y a quelque chose que, j’en atteste le ciel, elle ne me demande pas…


Et l’on eût été un peu étonné en 1830 d’un orateur faisant à la tribune son examen de conscience, et se demandant ce que sa fidélité demandait à son patriotisme et ne lui demandait pas, et ce que son patriotisme demandait, sans trop lui demander, à sa fidélité, qui demandait elle-même quelque chose sans pousser trop loin ses demandes. Mais je ne suis pas sûr que ce passage du discours sur les « libertés nécessaires » n’ait pas été le plus admiré en 1864, et en tout cas, je me rappelle bien qu’il a été le plus cité.

Plus tard, cela devint chez M. Thiers une petite monomanie, désobligeante même pour ses amis et qui les embarrassait pour l’applaudir. Mais encore une fois c’était toujours, art ou naturel, bien amené, et c’était toujours comme adouci par la bonne grâce. — Toujours est-il que voilà un trait nouveau dans le caractère de