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contre la régence de femme que Lamartine devrait être. Ensuite, dès que cette idée de force dynastique progressivement accrue se présente à la pensée de Lamartine, il ne voit plus qu’elle, et c’est à toutes les mesures d’intérêt dynastique ou supposées telles, lois de septembre, fortifications de Paris, etc. qu’il fait le procès, et c’est aux « cinquante ans de révolutions » qu’il fait appel pour se demander à quoi elles ont abouti, et il en arrive à dire : « Oui, il y a une fatale, une aveugle tendance à empiéter, à prendre toujours plus de force jusqu’à ce que la nation se demande : « Mais, y a-t-il eu des révolutions ? »

Je ne dirai pas : le procédé est visible ; c’est la démarche naturelle de l’esprit qui est visible. Elle consiste à s’élancer d’un fait particulier vers tous ceux qui lui ressemblent ou ne lui ressemblent pas, mais qu’on peut considérer un instant comme lui étant semblables, et, une fois qu’on les domine tous, à planer sur eux, à les contempler dans l’ensemble qu’ils font ou qu’on veut qu’ils fassent, et à les caractériser d’une grande définition générale qui les honore ou qui les flétrit. Il est rare qu’un discours de Lamartine ne soit pas conçu ainsi. A propos de chaque événement sur quoi il avait son avis à dire, il a fait l’histoire de France, à un point de vue, puis à un autre.

Cette « manière des poètes » a été celle de Victor Hugo, dont on n’a pas assez remarqué à quel point il a été l’élève de Lamartine aussi bien pour ses discours que pour la Légende des siècles. Elle a été celle de Louis Blanc, essentiellement. Elle a été celle de Bancel surabondamment. Je n’ai pas besoin de dire que, chez Lamartine, elle est, du reste, admirable. Lamartine était tellement né orateur que sa parole était comme une action, dans le sens propre du mot. Elle vous remuait, vous enlevait et vous transportait, et toutes ces métaphores reprenaient, quand c’était lui, leur sens littéral. Il fallait faire efl’ort pour s’empêcher d’être en sa main, comme il fallait faire effort, au dire de Saint-Simon, pour s’empêcher de regarder Fénelon. Et c’est cela qui ne s’analyse point et qui se sent. C’est le charme. Il en reste, et infiniment, même dans les discours imprimés de Lamartine, qu’il n’est plus là pour soutenir. On peut reprocher à M. Pellisson d’avoir fait la part un peu petite à Lamartine dans son volume. Il aurait pu la lui faire plus large, en sacrifiant, au besoin, un peu de Ledru-Rollin.