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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/166

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V

Les orateurs du second Empire et de la troisième République (comme M. Pellisson, je ne parlerai que des morts) furent très loin d’être sans mérite. L’éloquence parlementaire, avec les grands maîtres qu’elle avait eus, s’était constituée en quelque sorte, et avait pris connaissance de ses lois constitutives. Et, par exemple, les Guizot, les Thiers, les Berryer, les Lamartine, et combien d’autres, avaient appris aux orateurs à improviser, ce qui était inconnu de tous les orateurs de la Révolution française, à en excepter Barnave, et de tous les orateurs de la Restauration, sans aucune exception, je crois. Et aussi, pendant tout l’Empire, n’y eut-il aux Chambres aucun discours lu, si ce n’est, je crois, ceux du prince Napoléon et de Sainte-Beuve au Sénat.

Il faut bien dire pourtant que l’Empire ne fut pas une circonstance très heureuse pour l’art oratoire. Il est nécessaire à l’orateur d’avoir quelque chance de convaincre. C’est à cette seule condition que toutes ses facultés sont mises en jeu. C’est pour cela que rien ne prépare mal à l’éloquence parlementaire comme la conférence. La conférence est un discours sans contradiction prévue, sans contradiction prévue de la part d’un adversaire, sans contradiction prévue même de la part de l’auditoire. Rien n’énerve autant que cela l’éloquence naturelle la plus authentique. Un discours n’a pas de flamme s’il n’est pas un duel. Ce qui inspire l’orateur, et ce qui tire de lui tout ce qu’il a en lui, c’est ce que va dire l’adversaire, et ce qu’on redoute qu’il ne dise.

C’est pour cela que les conférenciers nés orateurs, — et il n’y en a guère, — glissent naturellement vers le paradoxe, ou vers une opinion qui, très sensée et juste, n’en a pas moins ceci de paradoxal qu’elle n’est pas celle qu’on peut supposer qu’aura l’auditoire. C’est un signe infaillible. Quand vous voyez un conférencier qui vient vous dire, si habilement que ce soit, ce qu’il est à prévoir que vous pensez vous-même, dites-vous que vous avez affaire à un conférencier né conférencier. C’en est la marque et c’en est presque la complète définition. — Quand vous voyez un conférencier qui vous choque, dès l’abord premier, et heurte vos idées, dites-vous que vous avez affaire à un conférencier né orateur et fait pour une autre tribune que la table verte. S’il vous contredit, c’est d’abord, sans doute, qu’il a d’autres idées que les vôtres ;