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placer, en face du public, pour jouer la pièce. Cette petite élévation ne leur permet pas seulement d’être mieux vus de tout le monde ; elle a d’autres avantages, qui en font une sorte de nécessité pour tous les théâtres[1]. En séparant la scène du public, en la plaçant de quelques pieds au-dessus du sol où nous marchons, elle suggère instinctivement la pensée que l’action qu’on y représente se passe dans un monde un peu différent et supérieur ; elle nous fait attendre un tableau de la vie ordinaire, mais d’une vie légèrement idéalisée et grandie ; elle nous dispose à accepter plus docilement les conventions, qui nous choqueraient davantage si l’on ne nous transportait du premier coup un peu en dehors et au-dessus de la réalité pure ; elle est, en un mot, une des conditions de l’illusion dramatique.

Nous savons par Vitruve que la scène, dans les théâtres romains, était beaucoup plus profonde que chez les Grecs. À Épidaure, par exemple, elle n’a guère que trois mètres de profondeur ; elle en a tout au plus cinq ou six ailleurs. C’est vraiment bien peu, et l’on a eu raison de dire que, s’ils jouaient sur cette bande étroite, les acteurs, presque appliqués au mur du fond, devaient faire l’effet d’un bas-relief en mouvement. Il n’en est pas de même à Orange. La scène, depuis le petit mur qui la sépare de l’orchestre jusqu’à la partie la plus reculée de la porte du fond, mesure dix-huit mètres. C’est à peu près la profondeur du Théâtre-Français de Paris, en y comprenant l’avant-scène. Mais il faut se souvenir, pour rétablir les proportions véritables, qu’au Théâtre-Français, l’ouverture du cadre de la scène n’est que de 12m,40, tandis qu’elle devait être à Orange de plus de cinquante mètres, ce qui fait que la largeur n’y est plus en rapport avec la longueur ; ajoutons que les acteurs romains, encore plus que les nôtres, se tiennent aussi près que possible des spectateurs, de peur de n’être pas entendus ; ils évoluent donc en général sur un espace très étroit et fort long, qui semble avoir reçu plus particulièrement le nom de pulpitum, et qui devait être en général couvert d’un plancher de bois[2]. C’est ce qui permet de se rendre compte de certains jeux de scène qui reviennent sans cesse chez Plaute, et qu’on a d’abord quelque

  1. Exceptons le théâtre grec à ses origines, s’il est vrai, comme le suppose M. Dörpfeld, que les pièces des premiers tragiques étaient jouées dans l’orchestre.
  2. Cependant, à Dougga, les dernières fouilles du docteur Carton ont prouvé que toute la scène était revêtue d’une mosaïque assez grossière. C’est tout au plus si, vers le milieu, un espace carré pouvait être couvert d’un plancher de bois et servir de trappe pour les besoins de la représentation.