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à Ceylan se faire Upasika, nonne bouddhiste pareille aux nonnes qui mendient de porte en porte. Elle parlait de sa conversion et de ses projets avec la simplicité d’une femme du monde qui vous entretient de sa saison d’hiver. Sur le navire, on la reconnaissait de loin à son écharpe qui, le soir, la ceignait de blancheur et, le jour, de lumière. Pauvre femme ! On ouvrira pour elle, ainsi qu’on l’a fait pour nous, ces réduits où les Bouddhas, enfermés dans leurs boîtes de verre, ont l’air d’embryons d’un musée de tératologie ; et quand elle aura visité ces déplorables exhibitions et les décombres de l’ancienne bibliothèque, on ne manquera pas de lui amener la gloire de la maison, un petit éléphant pas plus haut qu’un buffle, qui, moyennant une demi-roupie, s’agenouille et, la trompe levée vers le ciel, barrit comme d’autres braient.

Certes, je suis loin de méconnaître la beauté parfois chrétienne du Bouddhisme, et je n’ignore point que Çakya-Mouni a prononcé des paroles définitives sur l’inclémence de la vie et la détresse des âmes. Il n’est pas responsable de cet embonpoint posthume dont sa promotion à la classe des dieux l’a singulièrement affligé. Mais je ne me sens de goût ni pour les dieux qui sont gras, ni pour les dieux qui restent couchés. La pose horizontale. ne sied pas à la divinité ; il me déplaît qu’elle se prélasse sur un lit de repos, quand nous sommes tous les matins obligés de quitter le nôtre. Si j’admets que l’Etre Suprême s’indigne de notre démence, si je conçois surtout qu’il nous prenne en pitié, je n’entends point que nous lui soyons un aimable sujet de moquerie, car notre ignorance et notre bonne foi lui donnent en vérité la partie trop belle, et même les dieux se déconsidèrent à faire étalage d’ironie aux dépens du pauvre monde. Je ne sais plus de quel planteur on m’a conté jadis que son dernier plaisir était de grouper autour de lui ses nègres à genoux et de leur chatouiller avec une plume les narines et les oreilles. Ils n’avaient pas le droit de se gratter le visage et chacun d’eux tenait en équilibre sur sa tête une cruche dont la chute eût entraîné pour lui les rigueurs de la bastonnade. Le spectacle de leurs grimaces impuissantes divertissait le maître. Je ne puis voir le sourire du Bouddha sans songer à la plume du planteur et j’en supporte malaisément l’agaçante caresse. De la commisération aux souffrances humaines qui élargit le cœur de l’ascète Gotama, c’est en vain que je cherche la trace sur les traits du Gotama déifié. L’idole ne respire que suffisance et contentement de soi. Mais ce qui m’étonne surtout, c’est qu’une