La caverne sainte était plus large et plus sombre que celle de Matale et, sculpté dans le roc même, le Bouddha, qui gisait au fond de ce repaire, plus monstrueux que les autres. On ne le voyait pas ; on l’explorait. Plusieurs bonzes survinrent ; chacun d’eux alluma une chandelle et, moyennant quelque menue monnaie, ils se postèrent l’un devant la tête, l’autre face au ventre, le troisième près des pieds. Mais le gigantesque mammifère m’eût paru plus effrayant encore de ces demi-clartés, si je n’avais été rassuré par sa grosse figure hébétée de Lotophage.
Après Dambulla, la végétation, toujours aussi verdoyante, est moins haute ; nous entrons dans les jungles. La route, que bientôt les pluies défonceront et jusqu’aux bords de laquelle s’avancent parfois les éléphans sauvages, se prolonge indéfiniment, et presque en ligne droite, entre deux remparts impénétrables de bambous, de lianes et de broussailles. De distance en distance, avec une régularité géométrique, s’élèvent des cônes de terre que j’aurais pris pour des tombeaux et qui ne sont que des fourmilières de fourmis blanches. La sonnerie de nos grelots débusque et met en fuite des lézards, des coqs de bruyère, des mangoustes, tout un petit peuple de volatiles et de rongeurs, et, çà et là, un serpent lové sur l’herbe se détend et plonge dans l’ombre inextricable. Plus familiers avec les bruits du monde, des singes traversent la route en bonds fantasques et suspendent aux arbres, qui bordent les fossés, la parodie de leurs grappes humaines. Les villages, dont les toits chancellent comme des meules de foin après un ouragan, sentent la fièvre et la misère.
Quand le soleil couchant, qui semblait avoir durant le jour épuisé sa splendeur, colora le ciel de nuances délicates et fugitives, nous galopions encore, et ses derniers rayons illuminèrent doucement, dans une éclaircie des jungles, un lac presque rose, limité par de lointaines futaies. Toute la mélancolie du crépuscule se mirait sur la teinte fanée de ses eaux. La nature l’avait jeté là comme la rose du prélat romain, et sa solitude mourante lui donnait une grâce indicible et de l’immensité. La nuit tomba ; nous galopions toujours. Les chevaux du dernier relais, plus vifs encore de la fraîcheur nocturne, allaient un train d’enfer, et notre postillon, debout près du cocher, soufflait à en cracher l’âme dans son buccin de cuivre. Nous traversâmes ventre à terre un carrefour en croix, où j’entrevis une forme blanche, immobile, pareille à l’image de la Perplexité. Et tout devint prodigieux.