Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 152.djvu/402

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’acheminaient vers un lac dont les eaux brasillaient au soleil et nous séparaient des jungles. Puis, le jour déclina et nous rentrâmes dans la forêt.

Le ciel d’un rose vif et d’un bleu tendre enveloppait de douceur ce monde formidable. Les blancs calices de lotus, à la surface des étangs déserts, exhalaient une fraîcheur divine, et, sous leur masse de verdure sombre, claire ou cendrée, les troncs des arbres qui, formés de plusieurs troncs, ressemblent aux piliers de nos cathédrales gothiques, en avaient la pâleur crépusculaire. De toutes parts s’élevaient des escaliers qui ne mènent plus à rien ; et je ne sais quelle adorable magie réveillait dans les herbes ces gardiens des portes beaux comme de jeunes rois et gracieux comme des femmes. Des nains batifolaient le long des degrés de pierre fendus. Et, au tournant d’une allée solennelle, le mystérieux enchanteur, un Bouddha de granit, noir encore de la terre où des siècles l’avaient replongé, grandissait jusqu’à écraser les bois mêmes dont il était dominé. Un lotus épanoui le soutenait : il croisait ses pieds de façon qu’on vît sur leur plante les signes du zodiaque et d’autres signes merveilleux. Mais on ne voyait rien que son attitude méditative. Les arbres qui recourbaient autour de lui le silence de leurs larges feuilles, la nuit qui semblait hésiter, tout respectait sa méditation ; et, à travers les branches lointaines, dans des profondeurs translucides de verdure et de colonnes brisées, l’eau d’un lac immobilisait un feu pâle.


ANDRE BELLESSORT.