développement de la littérature russe, les élémens nouveaux qu’il y a apportés, la façon dont il l’a modifiée avant de la transmettre à ses successeurs. En faisant intervenir Pouchkine, que nous ne connaissons pas, dans la préparation de l’œuvre du comte Tolstoï, que nous connaissons, M. Volkhonsky a trouvé un sûr moyen de nous le rendre cher. Et je dois ajouter que, en dehors même de toute question de méthode, son exposition est aussi claire, aussi simple, aussi variée qu’on pouvait la souhaiter. Elle abonde en comparaisons ingénieuses, en anecdotes typiques ; et, si elle s’en tient, forcément, à la surface des sujets qu’elle traite, d’innombrables indications bibliographiques, au bas des pages, nous mettent en mesure de compléter, sur chaque point particulier, les renseignemens généraux quelle nous fournit.
Je ne puis songer à suivre M. Volkhonsky dans le détail de son exposition ; mais je voudrais en dégager au moins les lignes générales, qui du reste se détachent, dans le volume, avec une netteté parfaite : et d’abord je voudrais noter le trait le plus saillant de cette évolution de la littérature russe, le trait qui contribue le plus à lui donner une physionomie toute particulière, dans l’ensemble du mouvement littéraire de l’Europe.
J’ai dit tout à l’heure que, du moyen âge jusqu’à l’époque contemporaine, un fil continu a relié l’une à l’autre les manifestations successives de la vie nationale en Russie. Mais, en ce qui concerne plus spécialement la littérature, ce fil s’est trouvé rompu, complètement rompu, et cela durant une période de plus de cinq cents ans, du début du XIIIe siècle au début de XVIIIe. Entre l’auteur anonyme du Chant de la Campagne d’Igor, écrit vers l’an 1200, et le poète Lomonossof, né en 1715, la Russie a, pour ainsi dire, complètement ignoré la littérature. L’invasion des Tartares, au XIIIe siècle, a brusquement arrêté toute activité intellectuelle ; quand, vers la fin du siècle suivant, la Russie s’est enfin émancipée du joug mongol, rien ne survivait plus de l’ancienne civilisation ; et pendant trois cents ans, jusqu’à la fin du règne de Pierre le Grand, tout l’effort national a été employé à un travail de résurrection et de réorganisation politique, travail lent, difficile, fatigant, et où les préoccupations littéraires n’avaient point de place.
Mais ce qui achève de donner à ce phénomène un caractère unique, c’est que la vie intellectuelle qui s’était développée en Russie au xii* siècle, loin de ressembler à ce qu’on pourrait attendre d’un peuple qu’on tient communément pour barbare, était très active et très raffinée. La civilisation byzantine, pénétrant en Russie, y avait importé