conservateurs, elle a préféré recourir à ces derniers. Elle a pensé sans doute que l’agitation serait moindre dans le pays, puisque l’opposition n’aurait pas en face d’elle le gouvernement qui avait fait la guerre et le traité de paix. Elle a pensé aussi que les libéraux étaient divisés, tandis que les conservateurs s’étaient à peu près réconciliés, ce qui était à coup sûr une meilleure condition pour gouverner. Enfin, M. Sagasta, malgré sa merveilleuse fertilité de ressources, était usé par une longue lutte. C’est vraisemblablement pour ces motifs que la reine Christine, après avoir consulté les présidons des deux Chambres et les principaux chefs de partis, s’est prononcée en faveur de M. Silvela. Tout ce monde a rendu justice à la parfaite correction avec laquelle elle a dénoué la crise, et il en est résulté une accalmie qui durera ce qu’elle pourra.
Il y avait, d’ailleurs, urgence à mettre fin au spectacle que donnaient les deux Chambres : chacune de leurs séances était un véritable scandale. M. Sagasta, qui en avait eu le pressentiment, avait retardé le plus possible leur réunion ; mais le moment est venu où il n’a pas pu le faire plus longtemps. C’est après le vote du traité de paix par le Sénat américain. Ce traité, et pour commencer, un bill d’indemnité relatif à la cession des Philippines, a été soumis au Sénat espagnol. Mais, pendant qu’une commission était nommée pour l’étudier et qu’elle poursuivait son travail, les scènes les plus violentes et les plus bruyantes se déroulaient dans les deux assemblées. On devine sans peine quel en était le thème. Pour la première fois, les représentons du pays avaient à se prononcer sur les responsabilités de la guerre. Naturellement ils se disputaient entre eux ; ils accusaient le gouvernement ; ils s’en prenaient surtout aux généraux et aux amiraux, qui sans doute n’ont pas toujours été habiles, mais qui ont été surtout malheureux. Le lendemain des grandes défaites, on cherche des boucs émissaires, et, bon gré, mal gré, on veut en trouver.
A la Chambre des députés, les colères de l’opposition se sont surtout déchaînées contre les ministres, et, au Sénat, contre les généraux et les marins. Ces tristes débats ne valent pas la peine d’être analysés. A la Chambre, on a entendu tous les aspirans ministres. M. Silvela a exposé son programme, sur lequel nous allons revenir. M. Gamazo n’a pas caché que, s’il avait perdu toute confiance en M. Sagasta, il l’avait gardée tout entière en lui-même, et qu’il suffisait de le mettre au pouvoir pour que le parti libéral apparût en quelque sorte rajeuni et plein d’une nouvelle force. Tel n’a pas été l’avis de M. Romero Robledo, qui, ayant fait alliance avec M. Sagasta, ne jugeait rien