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toujours la première par le savoir, les dons affinés de l’esprit et l’art du gouvernement. Cette Église grecque avait été assez habile pour paraître à la fois au Turc l’auxiliaire qui maintenait les vaincus en soumission, et à ces vaincus l’héritière de l’antique indépendance, le symbole d’un espoir qui ne voulait pas mourir. Dans l’union de cette foi l’orthodoxie oubliait la diversité de ses races. Toutes attendaient de la sœur aînée et tutrice leur indépendance nationale aussi docilement qu’elles acceptaient un patriarche et un clergé. Seule la Russie, puissance souveraine, avait refusé d’accepter, comme ces races sujettes, un patriarcat soumis au Turc. En confiant sa vie religieuse à ses propres patriarches, puis à son synode impérial, elle s’était mise à part, non à la tête des autres orthodoxes : sans histoire, avec vingt ou trente millions d’êtres à demi civilisés, elle était incapable de disputer à la race grecque un prestige où brillaient confondus les souvenirs d’Athènes et de Byzance.

Mais notre siècle a vu la plupart des peuples possédés en Europe par la Turquie se détacher d’elle, et la race grecque, au lieu d’émanciper toutes les autres, ne se délivrer elle-même qu’en partie. Les Hellènes constitués en royaume ont, les premiers, refusé, malgré les liens du sang, obéissance au patriarche et au clergé du Phanar : Grecs libres, ils ne voulaient plus dépendre de Grecs demeurés sous le joug turc. A plus forte raison les Monténégrins, les Roumains, les Serbes et les Bulgares, dès qu’ils sont parvenus à l’indépendance, ont-ils réclamé, comme gage de leur liberté politique, leur autonomie religieuse, et obtenu, pour leur Église, des chefs et des prêtres de leur nation. La plus nombreuse de ces Eglises, l’Église grecque, réduite à la banlieue européenne de Constantinople et aux orthodoxes d’Asie et d’Egypte, ne compte plus six millions de fidèles. Elle a laissé décliner la science dans ses monastères, l’ardeur de l’apostolat dans son clergé, partout la dignité des mœurs, elle est devenue une fiscalité aux mains prenantes et au cœur froid. Les Eglises nouvelles, qui toutes ensemble la dépassent à peine, sont faibles à la fois de leur isolement et de leur tiédeur. Toutes les énergies de ces petits peuples appartiennent à la patrie retrouvée, que nul d’eux ne tient pour entière, qu’ils ne sont pas sûrs de garder intacte, et qu’ils aspirent à compléter. Leur fièvre nationale laisse peu de loisirs à leur foi religieuse. Que sont ces quelques millions de fidèles, comparés aux quatre-vingt millions dont est fière