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plus affreuses, déchire de ses mains les poulets et les perdrix dans les plats, fourre les doigts dans les sauces ; il est impossible d’être plus mal élevée, et ceux qui se trouvent derrière elle s’écrient : « Eh ! qu’elle a de grâce, qu’elle est jolie ! » Elle traite son beau-père d’une façon irrespectueuse et le tutoie. Lui s’imagine alors qu’il est en faveur, et en est tout joyeux. Elle traite, dit-on, le Roi avec plus de familiarité encore[1]. »

Cette vigoureuse sortie contre les mauvaises manières de la duchesse de Bourgogne ne devait pas être inutile à celle-là même qui en était l’objet. On sait qu’une surveillance occulte était exercée par les ministres du Roi sur toutes les correspondances qui partaient de la Cour. Les princesses elles-mêmes n’échappaient pas à cette surveillance, et Madame en fit une cruelle expérience, lorsqu’elle fut obligée de s’humilier devant Mme de Maintenon et de s’excuser de ce qu’elle avait écrit sur celle qu’elle appelait quelquefois la pantocrate, et plus souvent la vieille ordure. Mais, tout informée qu’elle fût de cette surveillance, elle n’en écrivait pas moins librement son avis sur toutes choses et toutes gens, et, dans la circonstance, son avis ne laissa pas, du moins à l’en croire, d’être pris en considération. « Je ne sais, écrivait-elle au mois de décembre suivant, si l’on a ouvert et lu une de mes lettres, et si l’on a attiré l’attention de la duchesse de Bourgogne sur son contenu. Ce qui est certain, c’est qu’elle se tient tout autrement à table. Elle mange tranquillement et avec gravité. Elle ne chante ni ne sautille plus comme elle le faisait, pas plus qu’elle ne met les mains dans tous les plats comme elle en avait coutume. Somme toute, on l’a corrigée du tout au tout. Ma lettre a fait du bien, et je suis contente de voir qu’on me donne raison[2]. »

Il est possible qu’à la suite des observations qui lui furent faites, la duchesse de Bourgogne ne chantât plus à table et ne fourrât plus ses doigts dans les sauces ou dans les plats. Mais rien n’était changé dans son éducation. Avant comme après cette lettre ouverte de Madame, elle continua d’être outrageusement gâtée. Aucun effort n’était tenté pour lui donner une direction morale. On se contentait de lui imposer des marques extérieures de

  1. Ibid. Trad. Jæglé, t. I, p. 182 et 184.
  2. Cette lettre est extraite (t. I, p. 352) de deux volumes de lettres publiés à Hanovre en 1891 par le docteur Edouard Bodeman. Ces deux volumes contiennent un certain nombre de lettres qui n’ont jamais été traduites en français. Quand nous aurons occasion d’en citer quelques-unes, nous l’indiquerons sous cette rubrique : Correspondance de Madame, édit. Bodeman, Hanovre, 1891.