oncle, établi à Livourne, avait fait les frais de l’Assedio di Firenze, de Guerrazzi; Giuseppe Ferrari m’avait donné quelques leçons de philosophie; l’exilé modénais Giannone m’avait enseigné sa langue; j’avais vu les canons autrichiens braqués sur les places de Venise, de Milan et de Florence; j’avais été obligé de fuir de Livourne après l’entrée des Autrichiens pour éviter une arrestation; j’avais partagé les douleurs et les angoisses des patriotes italiens : à la pensée qu’elles allaient cesser, mon cœur s’exaltait de joie. Mais je ne pouvais me convertir à l’unité piémontaise; elle m’inspirait une invincible répugnance ; je la considérais comme devant devenir aussi fatale à l’Italie qu’à nous-mêmes; je rêvais pour le pays des républiques et des villes illustres, une confédération républicaine à l’instar de celle des États-Unis ou de la Suisse, dans laquelle l’unité militaire et royale n’eût ni étouffé les individualités historiques, ni étendu son niveau bureaucratique sur tant de centres de gloire capables d’en enfanter de nouvelles.
Rarement ai-je été plus tourmenté et ai-je passé par plus de résolutions contradictoires. Picard, à qui je communiquais mes perplexités, était surtout frappé des conséquences intérieures de l’événement : il craignait que la guerre ne servît à resserrer, en les dorant, les chaînes que nous essayions de secouer. Nous arrivâmes enfin à cette conclusion que le vote pour était impossible, le vote contre excessif, et que le mieux serait une abstention motivée. Darimon se rangea à notre avis; il fut moins aisé d’y amener Jules Favre et Hénon. Une demi-heure encore avant le commencement de la discussion (27 avril 1859), ils persistaient l’un à voter pour, l’autre contre. Nous nous réunîmes dans un des bureaux de la Chambre, afin d’essayer une dernière fois de nous mettre d’accord. Je suppliai Jules Favre et Hénon d’éviter un déchirement qui ruinerait notre autorité morale. Sur les affaires secondaires, il n’y avait aucun inconvénient à ce que chacun de nous conservât sa liberté, mais il serait déplorable que dans une conjoncture aussi majeure, nous n’eussions pas opiné tous les cinq de même. Je rappelai à Jules Favre son fameux rapport de 1848 et sa confiance trompée; allait-il retomber dans la même erreur? Cette considération le frappa. « Justement, me dit-il, c’est dans ce bureau, dans cette embrasure de fenêtre, que Drouyn de Lhuys m’a donné sa parole d’honneur qu’on n’attaquerait pas la République romaine. » Puis, après un instant de réflexion : « Nous ne sommes que cinq; il serait vraiment ridicule que nous eussions