jamais assez de vertu pour l’être, ni assez d’infamie pour le feindre. »
On raconte qu’elle était venue au monde sous la forme d’un petit être velu, qu’on la prit d’abord pour un garçon, qu’on ne s’avisa de la méprise qu’après avoir annoncé au roi Gustave-Adolphe la naissance d’un héritier. Plus tard, des semeurs de méchans bruits la firent passer pour un androgyne. Et cependant elle était bien femme. Ce qui caractérise la plupart des femmes, c’est que dans les grandes circonstances de la vie, les raisons décisives sont pour elles les raisons d’à côté, et ce sont les raisons d’à côté qui ont décidé de la conversion de Christine. Elle a déclaré elle-même qu’elle ne trouvait rien à redire dans le dogme luthérien. Mais le protestantisme contristait, chagrinait sa vive imagination. Elle s’accommodait mal de la nudité des églises, de la sécheresse du culte, de la fastidieuse longueur des sermons et aussi du droit de censure que prétendait exercer sur elle un clergé intolérant et peu lettré. « On avait remplacé le pape en chair et en os, dit M. de Bildt, par un pape en papier, qu’on appelait les livres symboliques de l’Église, et pour ce pape on réclamait la même omnipotence spirituelle que pour l’ancien. » Le pape en chair et en os lui paraissait plus acceptable et plus engageant que le pape en papier.
Dès sa première jeunesse elle avait conçu des doutes; elle s’était persuadé « que les hommes faisaient parler Dieu à leur mode, qu’ils voulaient la tromper et lui faire peur pour la gouverner à leur façon. » Cependant elle avait besoin d’une religion. Non seulement le catholicisme la séduisit par l’éclat de ses cérémonies, par l’attrait qu’a la confession pour une âme qui aime à se raconter; s’étant promis de ne jamais se marier, elle lui savait gré de glorifier le célibat. Croira-t-on que Descartes fut aussi pour quelque chose dans sa résolution suprême ? Il était mort, quatre mois après son arrivée à Stockholm, avec toutes les marques d’une vraie piété. Elle en conclut qu’une religion professée par le plus grand penseur du temps était digne de l’être par une femme qui se considérait volontiers comme un grand homme : « Nous certifions par les présentes, dira-t-elle dix-sept ans plus tard, qu’il a beaucoup contribué à notre glorieuse conversion. » Il n’en faut pas moins reconnaître que, si les raisons d’à côté la décidèrent, elle s’attacha fermement à l’Eglise apostolique et romaine. Elle l’aima parce qu’on lui interdisait de l’aimer. Elle eut toujours l’esprit de contradiction, et toujours elle se lit un plaisir de scandaliser son prochain; plus on la blâmait, plus elle se butait. Le catholicisme eut pour elle les souveraines douceurs du fruit défendu. En ceci encore, la femme qu’on avait prise pour un garçon était bien femme.