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2 696, marqués des plombs des magasins de France, contenant des linges à pansemens et des fournitures complètes d’hôpitaux, etc.

Vaillant déploya une activité prodigieuse pour ses soixante-neuf ans. Il recevait lui-même toutes les dépêches télégraphiques, passait les nuits sans se coucher, afin de donner un peu de repos à ses officiers d’état-major sur les dents[1]. Des achats de chevaux furent faits, les ateliers de l’artillerie renforcés, des souliers fabriqués ou achetés, des manutentions complémentaires établies, une fabrication mensuelle de huit à dix millions de rations assurée, des hôpitaux temporaires établis, des amas de matériaux expédiés, des effets d’habillement commandés partout, des marchés conclus pour le foin et le fourrage, des médecins et des infirmiers recrutés jusque parmi les étudians en médecine.

Quelle que fût l’ardeur intelligente du ministre, quand le Piémont fut envahi, les troupes rassemblées en hâte manquaient encore d’objets de campement, d’habillement, etc. Que fallait-il faire ? gémir, récriminer, attendre, les pieds cloués au sol, comme, pour notre perte, on l’a fait en 1870 dans une situation bien meilleure, attendre que l’on fût gorgé, jusqu’à ne pouvoir plus se remuer, de tout ce dont on était dépourvu au premier moment? Par bonheur les doctes, les critiques, les raisonneurs, les Trochu petits et grands n’avaient pas encore glacé le sang dans les veines des chefs de notre armée. Vaillant appartenait à la génération héroïquement offensive à laquelle nous avons dû notre splendeur militaire. Il savait qu’au prix de privations momentanées, coûte que coûte, au risque de se faire casser la tête, il ne faut jamais se laisser prévenir par l’ennemi ; qu’il faut aller de l’avant quand même, avec une bonne préparation si l’on peut, malgré une mauvaise, s’il n’y en a pas d’autre; qu’en payant de confiance et d’audace, on déconcerte, on fait croire qu’on est cent quand on est dix, qu’on est pourvu de tout quand on n’a rien. Il avait retenu la

  1. Ceci n’est pas incompatible avec l’affirmation du général Lebrun, que, s’étant présenté à dix heures du soir au ministère de la Guerre, on lui répondit que le maréchal, voulant reposer toute la nuit, avait donné l’ordre de ne le réveiller sous aucun prétexte. Quoi d’étrange qu’après s’être fatigué plusieurs nuits, le maréchal se soit assuré une nuit entière de repos, si nécessaire à son âge ? Le général lui-même n’en fit-il pas autant à Milan ? Il demanda au maréchal de Mac-Mahon de lui accorder un sommeil qui ne fut pas du tout dérangé. Il dormit douze heures de suite, et on ne le dérangea pas, quoique son corps eût reçu l’ordre de se porter en hâte sur Melegnano. À son réveil, il ne le trouva plus à Milan et fut obligé de courir après. (Souvenirs de la Guerre d’Italie, p. 282 et suiv.)