Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 153.djvu/263

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la miséricorde duquel je reçois toujours de nouvelles grâces. Je lui ai été plusieurs fois bien infidèle depuis que je ne vous ai vu, mais il m’a toujours fait la grâce de me rappeler à lui, et je n’ai, Dieu merci, point été sourd à sa voix. Depuis quelque temps, il me paraît que je me soutiens mieux dans le chemin de la vertu. » Puis, c’est l’élève qui reparaît : « Je continue toujours à étudier tout seul, quoique je ne le fasse plus en forme depuis deux ans, et j’y ai plus de goût que jamais, mais rien ne me fait plus de plaisir que la métaphysique et la morale. J’en ai fait quelques petits ouvrages que je voudrois bien être en état de vous envoyer, afin que vous les corrigeassiez, comme vous faisiez autrefois mes thèmes[1]. »

La réponse de Fénelon est faite toute de tendresse et d’encouragement. On devine sa joie de retrouver son élève, après un silence de quatre ans, dans une disposition aussi semblable à celle où il l’avait laissé. Déjà, cependant, dans les conseils pieux qu’il lui fait parvenir, il s’inspire des devoirs particuliers de son royal disciple. « Ne faites point de longue oraison, lui dit-il, mais faites-en un peu, au nom de Dieu, tous les matins en quelque temps dérobé[2]. » On devine qu’il n’aurait point approuvé les longues heures passées en prières, dans son cabinet. À partir de ce moment, plusieurs lettres s’échangent, et toutes, de part et d’autre, sur le même ton. Le duc de Bourgogne continue à s’accuser de ses fautes avec une humilité touchante et peut-être excessive. « Ma volonté d’être à Dieu se conserve et même se fortifie dans le fond ; mais elle est traversée par beaucoup de fautes et de dissipation. Redoublez donc, je vous prie, vos prières pour moi. J’en ai plus besoin que jamais, étant toujours aussi faible et aussi misérable. Je le reconnois tous les jours de plus en plus… J’ai eu aussi depuis quelque temps des scrupules, qui, quelquefois, m’ont fait de la peine. Voilà l’état où je suis présentement[3]. »

Les lettres de Fénelon sont, au contraire, admirables de finesse, de mesure, de bon sens. Soit qu’il fût averti par ses correspondans de la Cour, soit qu’avec sa merveilleuse intelligence, il devinât ce qui se passait à Versailles, sa préoccupation habituelle semble avoir été de mettre le duc de Bourgogne en garde contre les exagérations et les erreurs de conduite que lui reprochait

  1. Œuvres complètes de Fénelon, édition de Saint-Sulpice. t. VIII p. 230.
  2. Ibid., p. 231.
  3. Ibid., p. 242. Lettre du 28 septembre 1703.