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en désordre, car elle allait se mettre au lit. Les embrassemens furent vifs et tendres: elle le conduisit chez elle et dans ses petits cabinets. Livry lui fit porter à manger ; il fut servi par les femmes de chambre. Le repas dura peu; il se déshabilla fort vite, tant il avait d’impatience de se voir en liberté avec elle. »

Dans la vie de tous les jours, il paraît avoir été avec elle d’humeur facile et accommodante, ne contrariant en rien ses fantaisies et s’efforçant à lui plaire avec un peu de gaucherie. Il la célébrait sous le nom bizarre de Draco, dans des madrigaux assez lourds. La Beaumelle nous a transmis celui-ci que nous abrégeons[1] :


Draco, vous donneriez des lois à l’Univers.
Pour vous divertir, pour vous plaire,
Que ne feroit-on pas, que ne peut-on pas faire
Puisque votre époux fait des vers?
…………..
C’est vous, Draco, c’est vous qui d’un naissant délire
Trompez le charme impérieux.
Je vous vois, je me tais, j’admire.

Et le madrigal se terminait par ce vers qui est assez touchant :

Si je vous aimois moins, je vous chanterois mieux.


Nous avons vu qu’il passait beaucoup de temps chez elle avec les jeunes dames qui l’environnaient, que là il se départait de sa gravité et qu’il leur laissait même prendre avec lui des familiarités que blâme Saint-Simon. Quelle que fût cependant sa complaisance pour la duchesse de Bourgogne, jamais il ne dépassait certaines bornes. Quand sa conscience lui défendait de satisfaire à quelque caprice exprimé par elle, il demeurait inébranlable. La duchesse de Bourgogne était curieuse. Parfois elle aurait aimé à se faire raconter ce qui s’était passé dans les conseils auxquels son mari avait assisté. Mais plus ferme que Turenne qui avait un jour trahi un secret d’État pour Mme de Coatquen, toujours il s’y refusait. Un jour qu’elle insistait, il lui chanta cet impromptu :


Jamais mon cœur n’est qu’à ma femme,
Parce qu’il est toujours à moi,
Elle a le secret de mon âme
Quand il n’est pas secret du Roi[2].

  1. Mémoires pour servir à l’histoire de Mme de Maintenon et à celle du siècle passé, par M. de la Beaumelle, édition de Maestricht, t. VI. Pièces justificatives, p. 134. Proyart le reproduit également.
  2. Proyart, t. II, p. 128.