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l’infériorité de leur artillerie. Mais, accolés les uns aux autres dans une défensive systématique et passive, ils essayaient, quand ils nous voyaient venir en bondissant, de nous arrêter par quelques décharges précipitées, et, n’y réussissant pas, ils n’osaient attendre le combat corps à corps et se débandaient.

L’Empereur fit maréchaux Regnault de Saint-Jean-d’Angély et Mac-Mahon : c’étaient, en effet, avec lui-même, les victorieux de la journée. En outre, il fit Mac-Mahon duc de Magenta. Il donna ainsi par sa générosité de récompense des apparences à la légende de dénigrement fabriquée presque aussitôt par ses ennemis. — L’Empereur, dirent-ils, était perdu ; Mac-Mahon, prenant sur lui de désobéir à ses instructions, était allé à gauche tandis qu’on l’avait envoyé à droite ; il était accouru au canon de détresse de l’Empereur et l’avait sauvé. Quiconque a connu le caractère de Mac-Mahon n’a pas cru un instant à une pareille invention. C’était un chef de corps de la plus haute valeur, mais subordonné jusqu’à l’abnégation, aimant mieux obéir à un ordre absurde qui le dégageait que prendre une initiative raisonnable qui l’eût engagé. Si on lui avait enjoint de se diriger à droite, il n’aurait, par aucune considération, marché à gauche. En réalité, il n’a pas suivi une direction autre que celle prescrite par l’Empereur ; il devait aller à Magenta, il y est venu, seulement quelques heures plus tard qu’on n’y comptait. Il n’a pas couru au canon de l’Empereur, c’est l’Empereur qui a marché au sien. Il a déterminé la victoire, après l’avoir compromise pendant plusieurs heures par un retard que, sans l’héroïsme de la Garde, il n’eût pu réparer. « Mon cher général, a dit l’Empereur à Regnault de Saint-Jean-d’Angély, vous avez sauvé l’armée par votre énergie ; sans vous, Dieu sait ce qui serait arrivé ! »

Dans l’armée, on ne récrimina pas contre Mac-Mahon : en regrettant qu’il n’eût pas concentré dès le début ses ailes, au lieu de laisser entre elles un intervalle trop considérable, on ne retint que le sang-froid et l’impétuosité avec lesquels il avait ramassé dans sa main ses divisions avant de les lancer compactes dans cette offensive glorieuse qui emporta les dernières résistances ; on reconnaissait qu’après tout, il avait déterminé la victoire et qu’un succès moins écrasant à Magenta eût permis aux Autrichiens de recommencer le lendemain une lutte aussi acharnée et aussi difficile. Ils n’y pensèrent pas, Giülay ordonna l’évacuation de Milan et de Pavie et la retraite vers Lodi et l’Adda.