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L’état de notre être, c’est l’aspiration. L’homme cherche le bonheur sans le rencontrer. Mais, en cherchant le bonheur, il remplit sa fin, qui n’est pas d’être heureux, mais d’avancer toujours.

Toutes ces conséquences sont vraies, si toutefois on entend le bonheur dans le sens d’Epicure. Mais la question est de savoir si le bonheur ne consiste pas précisément à remplir sa fin, c’est-à-dire à se perfectionner, et si la perfection et le bonheur ne sont pas identiques. Ballanche a dit avec profondeur : « Qu’importe que l’homme soit malheureux, pourvu qu’il soit grand! » Mais la grandeur elle-même n’est-elle pas une sorte de bonheur et le vrai bonheur? Ainsi l’ont entendu les plus grands philosophes, Aristote, Descartes, Leibniz. Au reste, Pierre Leroux lui-même n’est pas éloigné d’admettre cette rectification : « Entend-on par bonheur, dit-il, un état non défini de sensations et de sentimens agréables, indépendamment de notre nature et de notre destinée, la philosophie n’a rien à voir là… Entend-on au contraire par bonheur un état conscient de nous-mêmes, c’est à la philosophie seule qu’il est donné de nous le procurer. » La question change, il ne s’agit plus seulement d’être heureux dans le sens vulgaire qu’on peut donner au mot bonheur. Il s’agit de vivre conformément à notre nature d’homme. Cette solution serait la solution stoïcienne, si le stoïcisme avait eu l’idée de progrès et de la perfectibilité indéfinie. En résumé, ce qui reste de cet essai sur le bonheur, c’est une critique aussi solide qu’ingénieuse du système des compensations, et l’établissement de ce principe que le bonheur n’est pas dans le plaisir.

La Doctrine de la perfectibilité n’est pas à proprement parler un ouvrage, c’est l’assemblage de trois mémoires « qu’on ne s’est pas donné la peine, ou qu’on n’a pas eu le temps d’assortir de manière à en faire un tout. » P. Leroux d’ailleurs nous apprend lui-même dans un autre écrit, qu’il ne s’agit plus aujourd’hui de « faire de l’art pour l’art; on n’écrit plus, on improvise (Malthus, De la Ploutocratie, préface). Aussi ne faut-il pas chercher dans notre philosophe ombre de composition, de méthode. C’est une improvisation perpétuelle. Mais dans ces improvisations, il y a des idées qui méritent d’être recueillies.

Il faut d’ailleurs moins chercher dans ces trois mémoires une doctrine de la perfectibilité qu’une histoire de cette doctrine. Ce que l’auteur se propose de faire, c’est une philosophie de l’histoire littéraire. Qu’est-ce qu’une philosophie de l’histoire littéraire?