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les chemins de l’Europe, des pèlerins passionnés de l’art et les renvoyaient plus riches de découvertes faites en eux-mêmes, et en la vie. — Duquel de nos Salons pendant le même temps pourrait-on dire la même chose ? Qu’ont-ils ajouté à nos sensations d’art ? Que nous ont-ils révélé ?

Dépourvu de prestige, incapable de révélations, le Salon garde-t-il du moins pour les artistes une matérielle utilité ? C’est fort contestable. La foule y vient, y passe, mais à la manière d’un torrent qui n’enrichit point ce qu’il a traversé. On mange dans Le temple, mais on n’y vend guère. Loin de ce bruit inutile, des réputations naissent, des fortunes s’édifient. Dire que les artistes du monde entier doivent recevoir la consécration parisienne pour être acceptés chez eux est un aphorisme qui n’a pour lui que sa banalité. Il est tout à fait faux. Longue serait la liste des artistes anglais, allemands et même italiens qui n’eurent aucun besoin Je la consécration de nos Salons pour vendre leurs toiles aux plus riches collections de l’Europe. Moins longue, mais encore instructive, serait celle des Français eux-mêmes qui, absens de nos Salons, gardèrent cependant la faveur du public : Gustave Moreau et Mme Rosa Bonheur, par exemple. Très nombreux sont aujourd’hui pour un artiste, les moyens de produire son œuvre, si nombreux que beaucoup de toiles, — et des meilleures, — paraissent chaque année aux expositions de clubs ou de « galeries » artistiques avant d’être mises au Salon, et l’on a beau qualifier de « privées » ces exhibitions, elles n’en sont pas moins visitées par tout ce qui aime l’Art. À l’étranger, on nous devance de même. — Par exemple, on a vu à la Royal Academy, en 1898, les toiles de MM. Julius Olsson et Mary Raphaël exposées à notre Salon en 1899. — À Paris, il s’ouvre de toutes parts de petites chapelles, où l’on admire les œuvres de nos maîtres dans une ambiance infiniment plus favorable qu’au Palais des Machines. Les petites chapelles ruinent la paroisse de l’Art.

Pour restituer à cette paroisse son prestige et son utilité d’autrefois, il faudrait qu’elle redevînt ce qu’elle était autrefois et ce que sont ses rivales heureuses : une chapelle. Il y a là, sans doute, de quoi indigner les artistes blanchis dans les luttes contre les salons fermés de l’Institut. Les écrivains habitués aux anathèmes de Gustave Planche et de Thoré contre les jurys d’avant 1864, ou contre la direction des Beaux-Arts, protestent aussi par tradition. Ces ressentimens furent légitimes, mais ils sont archaïques. Ce