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chaque année, de nos paysages provençaux. La médaille de M. Roty n’est donc pas un miroir de notre vie nationale : c’en est un souvenir.

Ainsi apparaissent sur le verre d’un télescope des clartés d’une étoile qui depuis longtemps a quitté la place qu’elle semble occuper dans les cieux.

Pendant des siècles, l’art français n’a pas représenté les paysans, sinon à titre de bergers adorant l’enfant Jésus, comme chez Fouquet, ou de sujets prosternés devant le passage d’un roi, comme chez Van der Meulen. Jetés à genoux dans l’ombre, ils servaient de repoussoir au long rayon de soleil où passait le carrosse d’or, à glaces, véhicule et. symbole de la monarchie. Le pêcheur n’était guère toléré que pour faire éclater la gloire du Christ parmi des filets rompus, le moissonneur que pour expliquer l’histoire de Ruth et Booz. Seuls, au XVIIe siècle, les frères Le Nain osaient montrer ceux qui produisaient le pain à ceux qui le mangeaient. Félibien n’avait pas assez de mépris pour « ces sujets d’actions basses et souvent ridicules » qu’on voit par exemple, au Louvre, dans l’immortel Repas de paysans. Ces vies infimes, mornes, résignées, ces faces pâles, terreuses, où les poils de la barbe coulent le long des joues, ces pieds nus, ces cottes sales, ces verres de vin, où semble s’être réfugié tout le rouge du tableau, tout le sang de ces membres exsangues, cette apparition brutale des descendans des Jacques, des aïeux des Bleus, on ne la reverra pas.

Au XVIIIe siècle, on raccommode leurs hardes, on leur met une fleur au chapeau, des rubans aux chausses, et on en habille des figurans de théâtre. Regardons-les au Louvre. Chez Lancret, ils font la moisson en des endroits ombragés de futaie bleue. Jamais blé n’y poussa, mais le régisseur y a porté trois ou quatre gerbes pour s’asseoir, — autant qu’on en voit sur les diplômes d’agronomie. Chez Oudry, ils labourent des crèmes au chocolat, émondent de l’angélique et mènent paître des troupeaux de meringues dans ces îles heureuses que les prélats imaginaient pour divertir les enfans des princes. Les paysans ne cessent d’être élégans avec Lancret, Oudry et Dépare, que pour devenir des patriarches avec Greuze, bénisseurs, prolifiques et vertueux.

Plus tard, ils sont habillés en soldats, n’ayant gardé de leur costume primitif que les sabots, ou bien s’ils apparaissent, çà et là, en tant que classe déterminée, c’est pour saluer la Grande Armée