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Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 153.djvu/443

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REVUE DRAMATIQUE


Comédie-Française : Le Torrent, comédie en quatre actes, par M. Maurice Donnay. — Odéon : Ma Bru, vaudeville en trois actes, par MM. Fabrice Carré et Paul Bilhaud.


M. Maurice Donnay a compris, semble-t-il, que la veine d’où il a tiré ses précédentes comédies est un peu épuisée ; justement lassé d’avoir tant de fois déjà refait la même chose, il a tenté de faire autre chose. Passant des théâtres de genre à la Comédie-Française, il a été très pénétré des devoirs que lui imposait cette promotion. Il a voulu nous donner une pièce d’un art plus solide, une comédie où il y eût de la matière, des idées, de l’émotion, en même temps que de l’observation et de l’esprit. Il n’y a guère réussi. Le Torrent a été médiocrement accueilli par le public et par la presse. On peut craindre que cet insuccès n’ait pour conséquence de rejeter M. Donnay en arrière, vers le genre qui lui a valu jusqu’ici des applaudissemens faciles. Il recommencera à recommencer Amans. Ce serait fâcheux. Il y aurait moyen pour le jeune écrivain de tirer meilleur parti de la leçon qu’il vient de recevoir et d’en mieux saisir la portée. En effet le tort de M. Donnay dans cette pièce n’est pas d’avoir trop changé sa manière, mais c’est bien plutôt d’y être resté trop semblable à lui-même. M. Donnay a été dupe des complimens qu’on lui a prodigués. On trouvait dans son théâtre un mélange d’ironie et de sensualité dont on ne cessait de célébrer la grâce, l’aimable fantaisie, la délicatesse et la légèreté. Ce qui me frappait au contraire dans ce théâtre c’en était, je ne dirai certes pas la grossièreté, mais l’inélégance ; j’ai pour ma part essayé de l’insinuer, avec un peu de timidité et de honte, comme il arrive lorsqu’on se sent en désaccord avec l’opinion commune. La nouvelle pièce de M. Donnay n’a fait que mettre en un jour cru et révéler à tous les yeux cette inélégance foncière.

Car, cette fois, M. Donnay ne s’est pas borné à faire la satire des mœurs, et à nous présenter telle qu’elle est la pleutrerie de ses contemporains.