engage. Nous n’avons récemment entendu que Guillaume Tell. On rapporte que Faust, la Valkyrie et surtout Samson et Dalila ne sont pas mieux traités. Mais Guillaume Tell suffit à justifier toutes les colères. Les choristes de l’Opéra n’ont jamais joué, sauf dans les Maîtres Chanteurs, le premier soir. Maintenant c’est à peine s’ils chantent. Et de quelles voix traînantes, éparpillées, veules et fausses ! Les malheureux ! Qu’ont-ils fait, au second acte, de l’adorable petit chœur de la nuit ! Et que fait aussi l’orchestre, ou plutôt que ne fait-il pas de tant de merveilles, de tant de détails précieux qui lui sont confiés ! Il change les plus nobles préludes, les plus admirables préfaces instrumentales en ritournelles de vaudeville. Il déblaye, il bousille, il dénature, il massacre. Ainsi dans cette maison en désarroi, tout le monde a perdu le goût et le soin, l’intelligence, le respect et l’amour, et l’interprétation d’un chef-d’œuvre à l’Académie nationale de musique n’en est plus que la profanation.
N’allez donc pas, vous qui l’aimez encore, entendre Guillaume Tell. Mais allez au théâtre lyrique de la Renaissance entendre Obéron. Allez-y par intérêt, ou par charité, pour une entreprise tentée souvent, mais jamais avec plus de zèle et de naïveté touchante. L’orchestre de la Renaissance étant trop petit pour contenir tous les musiciens, trois d’entre eux, un cor, si je ne me trompe, et deux trombones, se sont assis dans une avant-scène du rez-de-chaussée. Et cela fait songer aux vers de Namouna :
On entendait à peine, au fond de la baignoire,
Glisser l’eau fugitive…
car c’est au fond d’une baignoire aussi qu’on entendit sinon chanter,
du moins accompagner la barcarolle d’Obéron, cette exquise chanson
des eaux.
« Obéron, a dit Berlioz, une perle allemande éclose dans l’huître britannique. » Ce qui signifie assurément qu’Obéron fut représenté pour la première fois en Angleterre, et peut-être aussi que dans la beauté du chef-d’œuvre, comme en celle d’une perle, il faut faire une part à l’Océan. Cette part est considérable. Je n’avais pas oublié les grâces aériennes d’Obéron ; je m’en rappelais moins bien les splendeurs marines, surtout le merveilleux monologue de Rezia. Peu vous importe qui est Rezia. Rien ni personne n’importe en ce livret, le plus inepte, avec celui de la Flûte enchantée, dont se soit jamais inspiré le génie d’un grand musicien. Sachez seulement qu’il s’agit d’une femme jetée par la tempête sur un rivage désert. Le héros qui l’accompagnait,