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sous le régime actuel, et l’aurait été sous tout autre, ne puisse pas se l’aire entendre et soit obligé de renoncer à la parole, au milieu d’une assemblée incapable de faire sa propre police. Cela est très grave assurément, et jette un jour très inquiétant sur la situation. Il y a au Palais-Bourbon un parti intolérant et violent qui refuse non seulement d’écouter, mais de permettre à d’autres d’écouter les orateurs qui parlent contre son opinion, et il n’y a pas en dehors de ce parti une force organisée qui fasse contrepoids à la sienne. Les partisans, ou les praticiens de l’obstruction sont peut-être vingt-cinq et les autres cinq cent cinquante ; mais les vingt-cinq l’emportent, parce que vingt-cinq personnes qui font du bruit, — et il n’en faut même pas tant, — sont matériellement plus importantes que cinq cent cinquante — et même plus, — qui laissent faire et ne disent rien.

La séance où M. de Freycinet s’est vu forcé de descendre de la tribune sans avoir terminé son discours restera une des moins glorieuses de notre histoire parlementaire ; il n’en faudrait pas beaucoup de ce genre pour achever de discréditer le régime actuel, ou du moins la Chambre qui le représente. On comprend que M. de Freycinet en ait éprouvé un froissement personnel et un écœurement qui l’ont amené à donner sa démission ; et pourtant, nous l’avons déjà dit, il est difficile de croire # que sa détermination n’ait pas eu d’autre motif. Malgré les interruptions dont sa parole a été en quelque sorte hachée, il a dit tout ce qu’il avait à dire, et on ne voit pas trop ce qu’il aurait pu y ajouter, sinon peut-être que M. George Duruy reprendrait bientôt son cours interrompu : on ne lui a pas donné le temps de conclure. Tel qu’il est, son discours est complet ; il avait produit tout son effet sur la Chambre. Que ne s’en est-on assuré ? Il aurait été bien facile de transformer la question en interpellation afin de pouvoir déposer un ordre du jour : sans aucun doute, la majorité de la Chambre aurait voté celui que M. de Feycinet- aurait accepté. Mais ni lui, ni aucun membre du ministère ne l’a demandé, et, dans la Chambre même, personne n’y a songé. Évidemment M. de Freycinet cherchait une occasion de se retirer : on la lui a fournie très plausible, mais non pas obligatoire. Il aurait pu rester, il a préféré partir. Il y a des procédés parlementaires, bien connus et souvent employés, pour effacer la mauvaise impression d’un incident de séance, et raccommoder un de ces accrocs qui se produisent quelquefois, sans mauvaise intention, au milieu des surprises d’un débat. Mais M. de Freycinet n’a voulu se prêter à rien de pareil. On assure que ses collègues ont fait auprès de lui les démarches les plus pres-