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prononcés, il a senti l’atmosphère de la Chambre se refroidir autour de lui. Alors il a cru bien faire en démontrant que la première idée de l’entreprise chinoise ne lui appartenait pas et qu’il n’avait fait, après tout, que continuer ce que son prédécesseur avait commencé. Il a donné lecture d’une lettre que M. Bonin, sous-secrétaire d’État aux Affaires étrangères dans le cabinet Rudini, avait adressée au ministre de la Marine pour lui demander de mettre à l’étude la question de savoir s’il serait opportun d’entamer une action en Chine, et de s’y procurer un port. Les argumens de ce genre sont dangereux lorsqu’ils manquent leur effet, et c’est ce qui est arrivé cette fois : il s’est produit dans la Chambre un véritable soulèvement contre l’amiral Canevaro. L’émotion a été très bien jouée. M. Bonin n’a pas eu de peine à répliquer que, si le gouvernement, pendant qu’il en faisait partie, avait cru utile d’étudier la question chinoise sous toutes ses faces, il avait abouti à la conclusion qu’une entreprise ne devait être tentée qu’après une préparation suffisante. C’était, en somme, accepter le principe de l’entreprise, et en blâmer seulement l’exécution. Peut-être est-il heureux pour le ministère auquel appartenait M. Bonin qu’il n’ait pas eu le temps de l’exécuter lui-même : qui sait si le résultat aurait été meilleur ? Mais M. Bonin, personnellement attaqué, était bien obligé de se défendre. M. di Rudini, président du dernier ministère, a cru devoir le faire aussi : il a vivement reproché à l’amiral Canevaro d’avoir porté atteinte aux saines traditions du gouvernement, en produisant à la tribune un document qui aurait dû. rester secret. Cette incorrection n’a pas moins indigné M. Crispi, et le fait le plus important, le plus significatif de la séance a été l’intervention inopinée du vieux dictateur sicilien, qui a qualifié très durement le procédé du ministre des Affaires étrangères. C’était là, a-t-il dit, un fait nouveau et contraire à la dignité du parlement. Étrange comédie ! Qui se serait attendu à voir M. Crispi dans ce rôle de professeur et presque de conservateur d’orthodoxie parlementaire ? Qu’avait donc fait l’amiral Canevaro de si coupable ? Est-il vraiment contraire à toutes les traditions qu’un ministre, pour mieux expliquer sa conduite, la rattache à celle de ses prédécesseurs ? Cela se voit tous les jours, dans tous les pays du monde, sans que personne ait l’idée de s’en plaindre comme d’une violation de tous les principes et d’un oubli de toutes les règles. Mais, l’amiral Canevaro ayant cessé de plaire, tout ce qui venait de lui était condamné d’avance. Le document qu’il a produit n’avait rien de particulièrement confidentiel, encore moins de secret, et il est très probable que M. Bonin et le marquis di Rudini auraient été les premiers à l’invoquer, si l’entre-