Il semble que cette nouvelle disgrâce de Lucien devrait assurer l’état de Mme Bonaparte, et l’on s’étonne des nouveaux bruits d’un divorce. On prétend que Bonaparte veut se former une famille dont il soit véritablement le chef. Mme Bonaparte, la mère, a toujours maltraité sa bru et ne la nomme jamais que Mme Beauharnais ; ceci nous confirmerait que le mariage du Premier Consul ne s’est pas fait devant l’Eglise. Cependant on nous avait fait le récit de ce mariage ; on nous avait nommé l’église et pour ainsi dire le prêtre qui l’avait célébré. Que ce mariage se soit fait ou non devant l’Eglise, l’auteur du Concordat n’éprouvera point de difficultés à s’en affranchir. Il le fera, s’il désire avoir lignée. L’âge de Mme Bonaparte l’y forcera ; elle est née au mois d’octobre 1757 et, par conséquent, elle vient d’avoir 45 ans. On ne peut nier, malgré tout, que cette femme ne soit très intéressante par sa position. Elle est d’une bonté, d’une douceur inaltérables ; elle ne se soutient auprès de son mari que par une patience que rien ne peut rebuter. Sa vie est le plus dur des esclavages ; elle convient elle-même qu’il ne lui est pas permis d’avoir une volonté. Bonaparte, toujours despote, fait quelquefois lever sa femme à deux heures du matin, la fait coucher à quatre heures du soir, l’envoie au lit quand elle voudrait aller à la comédie, ou au bal quand elle est accablée de sommeil. Nous ne parlerons point ici des querelles de ménage où Bonaparte porte toujours son caractère dur, violent, emporté. On dit pourtant qu’il aime véritablement sa femme. Un jour, après une querelle très vive, elle crut pouvoir lui reprocher son manque d’affection. « Je ne vous aime pas ? lui dit-il, et qui donc vous soutiendrait contre toute ma famille ? Vous n’avez pour vous que Mme Bacciochi : le jour où elle me témoigna l’amitié qu’elle vous conserve, je lui sautai au cou de reconnaissance et lui fis présent d’un collier de perles que je vous avais destiné. » C’est quelque chose encore que cette brusque tendresse ; mais par combien de sacrifices faut-il l’acheter ! Mme Bonaparte n’a crédit que pour les affaires particulières, encore est-elle obligée d’attendre longtemps le moment favorable où elle pourra parler au Premier Consul, sans le révolter. Mais ce qui achève de rendre cette femme intéressante et malheureuse, c’est la bonté de sa raison. Il s’en faut que l’éclat de son état présent l’aveugle. La gloire de son mari ne l’éblouit pas ; elle sait qu’il ne faudrait qu’un moment pour changer toutes les flatteries en outrages ; elle y est même préparée. Quand on lui faisait compliment sur l’excellente éducation