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et ce nom exprimé en italien produisit celui de Bonaparte. C’était là, assurait-on, la tige de la famille Bonaparte, et, pour en réunir tous les droits sur la tête du Premier Consul, on ajoutait que Joseph, son aîné, avait abdiqué toutes ses prétentions en sa faveur. Les pièces les plus authentiques et les plus irréfragables devaient constater la vérité de ces faits, et on ne manquerait pas de les produire lorsqu’il en serait temps… Enfin, pour que rien ne manquât à la démonstration, on citait encore à l’appui une prophétie, tirée de je ne sais quel auteur, et qui annonçait positivement qu’après les malheurs et les secousses de la Révolution, un héros du plus pur sang des Bourbons parviendrait à reconquérir le trône de ses pères et rendrait la France plus florissante qu’elle ne l’avait jamais été.

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Aujourd’hui, un objet plus sérieux et plus triste occupe les esprits : c’est l’effroyable mortalité qui règne dans Paris. Il n’est pas une seule maison où il n’y ait des malades, et, dans la plupart, on compte des victimes. Le nombre en est si grand qu’on ne peut suffire à les enterrer. Dans plusieurs arrondissemens, on a été obligé de garder les morts trois et quatre jours avant de pouvoir les faire enlever. Les rues sont remplies de chars funèbres. Les portes des églises en sont assiégées. Toutes les familles sont dans la désolation et le deuil. Il semble que la mort se plaise à choisir de préférence les jeunes gens et les jeunes personnes. Frappés presque tous d’un coup subit, le même instant les voit passer, pour ainsi dire, du milieu des plaisirs au sein du tombeau. Ce qu’il y a de plus étonnant, c’est que, de l’aveu même des médecins, les causes apparentes de maladie ne sont point en rapport avec cette mortalité extraordinaire. Mille fois on a vu régner les mêmes influences extérieures, sans qu’elles fussent suivies des mêmes effets. Les journaux gardent sur tant de malheurs un silence commandé. Les philosophes n’y voient qu’un jeu de la nature et un effet des lois chimiques ; mais la terreur est dans le peuple.

Des récits exagérés, des bruits absurdes, viennent encore accroître son effroi. Presque partout, on entend publier que cette calamité terrible est un fléau du ciel et un juste châtiment des crimes publics.

Mme Récamier, célèbre par sa beauté, ses richesses et l’éclat de sa petite cour, vient d’encourir la disgrâce du Premier Consul.