Page:Revue des Deux Mondes - 1899 - tome 153.djvu/668

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

noire de Rhodes couverts de frises d’animaux ou de scènes empruntées à la mythologie, vases en forme de biberon appelés bazzoula par les indigènes, grandes amphores en poterie grossière, œnochoés aux courbes élégantes, alabastres, gobelets, fioles dans lesquelles s’est donné carrière la fantaisie des potiers phéniciens ; les unes en forme d’animaux, d’autres représentant une femme accroupie ou un cynocéphale qui tient entre ses genoux un autre vase à tête de grenouille. Les œufs d’autruche, peints en rouge et en jaune, tiennent une grande place dans ces sépultures ; souvent on en trouve plusieurs dans la même tombe ; dans celle de Iadamelek, on en a trouvé un encore intact, qui bouchait un vase plus grand et avait servi lui-même de récipient ; d’autres fois, ce ne sont que de simples rondelles, sur lesquelles on a peint grossièrement les traits d’un visage humain. Puis ce sont des figurines égyptiennes, des statuettes, des masques de terre cuite, des objets ayant une signification symbolique ou religieuse, à côté de représentations d’objets usuels, de petites chaises, de petites tables qu’on dirait être des jouets d’enfans ; puis des objets en os ou en ivoire artistement travaillés ; puis toute la série des armes et des ustensiles de métal ; enfin, épars autour du mort, les restes des ornemens dont il était paré ; d’innombrables grains de colliers en pâte de verre, en pierres fines ou en or, auxquels se mêlent des amulettes, des boucles d’oreilles, des pierres gravées, des bagues, des bracelets, toute la vie et comme la marque d’identité du défunt transportées dans la tombe.

De tout cet ensemble se dégage comme une pensée, et cette continuation de la vie dans la tombe nous permet de reconstituer, dans une certaine mesure, ce qu’elle pouvait être sur terre ; car la tombe est le seul endroit qui garde les secrets de la vie, quand la dernière trace et jusqu’au souvenir en ont été abolis sur la terre des vivans.


II

Il eût été bien difficile, jusqu’à ces dernières années, de se faire une idée quelque peu précise de la vie et de la civilisation carthaginoises. Un seul homme a tenté de le faire et a pu le tenter, parce qu’il était romancier, c’est Gustave Flaubert. Non qu’il faille prendre au pied de la lettre le tableau qu’il en trace ; mais Flaubert était un chercheur d’une conscience extrême, et à