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LE PROGRÈS SOCIAL
EN FRANCE

C’est une loi générale de l’histoire que le progrès moral et social est toujours en retard sur le progrès matériel et scientifique. Alors même que, dans leurs rapports avec les choses, les hommes ont acquis une réelle supériorité, ils conservent encore un certain temps, dans leurs rapports moraux ou juridiques avec leurs semblables, les mœurs de l’âge précédent ; plus civilisés matériellement et intellectuellement, ils restent encore moralement barbares. Notre époque en est un nouvel exemple : le premier aspect sous lequel elle se montre, surtout en France, c’est celui du désarroi social : confusion et lutte des intérêts, des passions, des doctrines. Le chœur des économistes et le chœur des collectivistes nous font entendre la strophe et l’antistrophe : « La propriété se dissémine, » disent les uns. — « La propriété se concentre, disent les autres. » — « Elle passe de plus en plus, reprennent les premiers, aux mains des travailleurs. » — « Non, répliquent les seconds, elle se dissocie d’avec le travail. » En entendant ces paroles contradictoires, le philosophe ne peut s’empêcher de se demander si les deux partis n’ont pas tout ensemble tort et raison, si des courans de faits opposés ne se produisent pas dans les sociétés modernes, surtout en France, de manière à justifier partiellement des conclusions différentes, que l’on a tort d’ériger en affirmations absolues. Pour un observateur attentif et impartial, est-il donc impossible, en ce chaos de mouvemens contraires, de dégager une direction résultante, qui est le progrès social ? Nous