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sombres pressentimens ! M. Blatin, vraiment paternel, et le Vénérable après lui, poursuivent :


Frère grand expert, donnez le vin à notre frère. Que ce vin symbolise, pour lui, la santé et le courage, la force, la persévérance, la confiance en lui-même, qu’il doit apporter à sa nouvelle famille. Mais souvenez-vous, mon frère, que, de même que ce liquide réconfortant est, pour celui qui en abuse, l’agent effroyablement toxique d’un des vices les plus abjects, de même l’excès de certaines qualités peut engendrer les plus graves et les plus dangereux défauts. Vous devez donc prendre garde, ainsi que la Maçonnerie vous l’a toujours enseigné, que la force ne tourne à la brutalité, que la persévérance ne se transforme en entêtement et que la confiance en soi-même ne devienne un aveugle et insupportable orgueil. Donnez l’eau à la jeune épouse. Et que cette eau limpide et transparente emblématise, pour elle, la pureté du corps et de l’esprit, la douceur du caractère et la fraîcheur des sentimens. Mais qu’elle se garde d’emprunter, à cette eau symbolique, son abandon d’elle-même et sa soumission inconsciente et passive qui en font le dissolvant toujours prêt des amertumes comme des douceurs, l’inerte véhicule des remèdes comme des poisons, et la laissent se transformer indifféremment en un breuvage de vie ou en un liquide de mort.


Mais un mouvement se dessine : sur les « colonnes du Nord et du Midi, » les Frères forment la « chaîne du Dion : » c’est ce que les pompiers appellent faire la chaîne et les enfans faire un rond. De Frère à Frère, l’ « attouchement mystérieux » du Vénérable circule : en présence des profanes, on ne peut pas faire passer le « mot sacré; » les paumes, donc, se parlent entre elles, à défaut des lèvres. Et sur la « colonne du Nord, » le « signe parvient dans toute sa pureté ; » la chaîne est impeccable. Mais le Frère surveillant qui clôt la « colonne du Midi » se plaint qu’il ne voie rien venir : l’attouchement est en détresse. On fait un semblant d’enquête : c’est que, de ce côté, un anneau manque à la chaîne; et cet anneau, c’est le marié. Alors l’Épouse, interpellée, conduit à ses Frères ce Frère défaillant : « elle apprendra de cette manière, dit le Vénérable, que la femme d’un maçon ne doit jamais retenir son mari. » De nouveau les paumes échangent leurs contacts : tout va bien, cette fois : « C’est à cette jeune femme, continue le Vénérable, que nous devons d’avoir pu renouer notre chaîne d’union momentanément brisée. » Le grand expert donne trois baisers à l’Époux, et l’Époux les passe à sa