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Il ne chercha pas à corriger la nature d’après une convention ; au contraire, il en simplifia les images tout en les accentuant dans leur sens individuel et expressif. Il fut surtout un peintre de morceaux ; il en a fait beaucoup de superbes, que tous les artistes connaissent, tels que le portrait de Bertin. L’Apothéose d’Homère est d’une belle ordonnance, un peu froide. Le Saint Symphorien me semble accuser une trop grande préoccupation d’étaler des muscles : mais le martyr et sa mère qui l’exhorte sont d’une très simple et noble allure.

Hélas ! il arrive aussi à Ingres de se laisser aller à des pauvretés enfantines, à des recherches maniérées, comme sa Vierge à l’hostie, ou même nulles, comme sa Jeanne d’Arc, où tout est en zinc, sauf la cuirasse qui est en carton. C’est ici qu’apparaît « le Chinois.»

Mais ce qui est incomparable, ce qui n’avait jamais été fait avant lui, que nul n’a refait ni ne refera, c’est la collection de ses merveilleux portraits à la mine de plomb. Tandis qu’il n’y indique les vêtemens que par des traits simples, souples et sûrs, il apporte aux têtes le modelé le plus ravissant, fondu dans des miracles de physionomie. Toutes marquent leur temps, elles en exhalent l’esprit tout en gardant leur souffle individuel. Elles vivent bien à l’instant précis, et elles sont éternelles par la magie de l’art. Ces costumes, ainsi traités d’une pointe absolument attentive, montrent toutes les habitudes des corps. Les modes ainsi dessinées, si étranges qu’elles soient, ne paraissent jamais surannées.

La meilleure gloire de David est d’avoir commencé Ingres et pour récompense, celui-ci l’a démoli, à ne pouvoir se relever. Ce fut bientôt un anéantissement complet. On entendait dire de toutes parts : « Qui nous délivrera des Grecs et des Romains ? » On ne voulait parler ni des vrais Grecs ni des vrais Romains, mais de ces faux héros qu’à leur place on nous avait si longtemps servis. Au contraire, on fouilla davantage l’histoire et les productions de l’art antique. Les vases étrusques, depuis longtemps au Louvre et qui étaient restés presque inconnus, apportèrent mille renseignemens de mœurs, de costumes, d’objets usuels, d’élégantes armures, de casques aux nobles cimiers et passionnèrent la jeune école qui s’était appelée néo-grecque. Ces trouvailles intéressantes, évoquant la vie antique, achevaient de rendre ridicule tout le régiment de ces guerriers fameux, entièrement nus,