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Malabélés qu’on chasse de leurs maisons pour les exiler au pays des fièvres ne se plaignaient pas à leurs fétiches que l’homme blanc en use cavalièrement avec eux.

Mais qu’importe, après tout ? répondra M. Brown. En pareille matière, les questions de justice n’offrent qu’un médiocre intérêt. La destinée a décidé que les indigènes auraient tort, même quand ils ont raison, que la terre doit appartenir à qui sait en tirer parti. Si endurans que soient les noirs, quelque force de résistance qu’ils possèdent, et quoiqu’ils pullulent, qu’ils multiplient dans des climats qui tuent l’Européen, M. Brown, qui est dans le secret, prédit avec assurance leur disparition finale. Ils auront le sort des Peaux-Rouges et des Bushmans de l’Australie, ils se réduiront à rien, Os fondront au contact de la race dont le privilège est de représenter dans le monde la civilisation la plus avancée : « Quoi que puissent tenter en leur faveur la philanthropie ou la piété des missionnaires, une autre puissance, le génie des entreprises commerciales, qui semble s’être incarnée dans la personne de M. Cecil Rhodes, se répandant du sud de l’Afrique jusqu’au centre du continent noir, balaiera devant elle ces populations mal nées, inertes, aux mains gourdes et à l’esprit obtus... D serait aussi aisé d’arrêter le cours du Zambèze que de changer celui des événemens. L’Afrique du Sud et du Centre est destinée à devenir un grand pays parlant l’anglais : le développement de ce nouvel empire témoignera une fois de plus que la Providence a choisi les Anglo-Saxons pour débrouiller et régler les affaires du monde. »

J’ai dit que la philosophie coloniale de M. Brown était un peu dure, et je ne m’en dédis pas ; je ne la recommande à personne ; mais, si les Anglo-Saxons, à qui il promet l’empire du monde, se soucient médiocrement de faire le bonheur des peuples conquis, il faut reconnaître que trop souvent nous avons, nous autres, la manie de les rendre heureux à notre façon, qui n’est pas la leur, que nous pensons avoir acquitté notre dette envers l’humanité en transportant dans nos établissemens coloniaux nos lois, nos règlemens, tout notre appareil administratif et judiciaire. Nous faisons gloire de répandre partout nos dogmes politiques ; nous oublions qu’un peuple qui fonde une colonie doit mettre avant tout son honneur à la faire prospérer, et c’est ainsi qu’en ont usé les fondateurs de la Rhodesia, dont le premier soin fut de la pourvoir de routes, de voies ferrées, de ces travaux publics qui justifient la conquête, de cet outillage économique, sans lequel il n’est pas d’avenir pour les colons. Les missionnaires anglais, tout en prêchant l’Évangile, se mettent eux-mêmes au service de la mère patrie,