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nous croirions volontiers que M. Bourgeois a appris ces manières nouvelles parmi les diplomates qu’il fréquente, si, tout juste au même moment, ces diplomates ne s’étaient pas mis eux-mêmes à parler tout haut, presque avec intempérance, et à prendre les journalistes pour confidens quotidiens de leurs travaux.

Bref, volens, nolens, bon gré, mal gré, M. Bourgeois a dû revenir à Paris : M. le Président de la République l’y appelait formellement. Il s’y est donc rendu, mais personne ne l’y a vu, et jamais encore homme chargé de former un cabinet n’avait soulevé si peu de poussière. On a dit qu’il avait déjeuné avec quatre ou cinq de ses amis, à qui il avait conseillé d’accepter tous d’entrer dans le ministère si on le leur offrait, et de le soutenir énergiquement quand il serait formé. Lui seul, avait le droit de se refuser ; les autres ne sauvaient pas la paix du monde à la Haye. M. Bourgeois prêchait d’ailleurs des convertis, et, si on l’a fait venir de si loin uniquement pour conseiller aux radicaux d’accepter des portefeuilles, ce n’était vraiment pas la peine de lui imposer la fatigue du voyage. Après avoir décliné la mission dont la confiance de M. le Président de la République avait voulu l’investir, qu’a fait M. Bourgeois ? Un grand silence l’a enveloppé. Il serait peut-être difficile de préciser la date de son départ pour la Haye ; on sait seulement qu’il y est revenu. Tout cela a été doux, estompé, ouaté. En somme, l’incident a fait perdre quarante-huit heures ; mais, grâce à lui, le principe a été sauvé, que, dans toute crise ministérielle, il faut d’abord proposer le pouvoir aux radicaux, et que c’est seulement si ces messieurs n’en veulent pas que les modérés peuvent décemment y toucher. M. Bourgeois n’en a pas voulu. Quelques radicaux plus farouches que les autres ont poussé contre lui de sourds rugissemens. Mais peu lui importait : il s’était déjà dilué dans l’air ambiant. Ariel ne s’évaporait pas plus subtilement.

Alors, M. Waldeck-Rousseau a paru de nouveau et a découvert son jeu. Les bruits qui avaient couru sur ses intentions avaient déjà préparé à de l’imprévu, mais non pas assez pour que l’ébahissement n’ait pas été prodigieux. On nous permettra de négliger, au moins aujourd’hui, les autres collaborateurs de M. Waldeck-Rousseau : son ministère se caractérise par la juxtaposition de M. Millerand et du général de Galliffet. C’est assurément le dernier mot de la concentration républicaine. Tout arrive en France, le tout est de vivre, a dit autrefois le prince de Talleyrand. Il avait vu dans son temps des choses bien étonnantes ; nous ne sommes pas sûrs qu’aucune l’ait été à ce degré.

Ce qui nous étonne, est-il besoin de le dire ? n’est pas de voir le